Pour des raisons diverses, voilà maintenant un moment que Thanatos n'avait pas eu de missions. Si personne ne l'avait réclamé c'est, d'une part, parce qu'il ne s'était pas vraiment rendu disponible ces derniers temps, et aussi, d'autre part, parce qu'il estimait avoir mieux à faire et prenait également le temps de profiter un peu, chose qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. A plusieurs reprises il avait quitté son appartement pour chasser simplement ou pire, se promener sans raison, et ce nouveau quotidien lui avait permis quelques nouvelles rencontres, dont certaines, agréables et d'autres, un peu moins. Quoiqu'il en soit l'appât du gain l'avait poussé à ne pas garder son nouveau mode de vie encore trop longtemps : le besoin d'argent mais aussi celui de combat s'était fait sentir. Il voulait tuer pour le simple plaisir de tuer et n'avait pas eu beaucoup de mal à trouver un nouveau travail. Un homme influent l'avait engagé pour tuer une personne quelconque. Il ne savait rien de sa victime, et par ailleurs, c'était un homme, par conséquent il ne se préoccupait pas des conséquences de ses actes et se contentait d'obéir aux ordres reçus. Nom, prénom, adresse, mais aussi quotidien. Il avait presque un emploi du temps complet de l'homme qu'il devait tuer, il savait le métier qu'il faisait, ses passe-temps. Mais aucune précision sur sa race n'était apportée : humain, vampire ou même loup, il n'en savait rien. Au fond, Thanatos appréciait ce petit suspense, car le jour où il tomberait sur un lycan, le combat n'en serait que plus amusant.

Paradoxalement, il savait à la fois tout et rien de la personne qu'il devait tuer. Les raisons de cette exécution le dépassait également et tout ce qu'il avait pris en compte était la somme rondelette qu'il devait toucher à la fin de sa mission. Par habitude, le monstre avait attendu patiemment la tombée de la nuit et pendant le restant de la journée, il était resté cloitré chez lui à établir un plan. Embauché la veille, il avait déjà eu le temps d'aller faire du repérage dans les minutes suivant son embauche. Il s'était posté à un endroit et avait sagement attendu l'heure à laquelle l'homme ciblé aurait dû sortir. Comme il avait été indiqué, l'homme avait quitté son emploi à l'heure précise et avait fait un bout de chemin à pied. C'était précisément dans le cadre de cette marche qu'il devait le tuer car l'homme était contraint de parcourir des ruelles pour rejoindre son véhicule. Puisqu'il sortait relativement tard, et puisqu'il parcourait les ruelles malfamées de la ville à une telle heure, Thanatos voyait en cette occasion le moment rêvé. Personne ne le verrait et comme bien souvent, le travail serait rapide bien qu'un peu brutal. Allongé sur le ventre et étendu largement sur son lit, le regard azuré du lycan était braqué sur l'extérieur, guettant la tombée du crépuscule. Lorsque le ciel prit une couleur orangée, le monstre s'activa enfin. Comme d'habitude, il avait déjà préparé un sac à dos où se trouvaient des affaires de rechange. Un tee-shirt maculait son torse et un vieux jogging faisait office de pantalon, non sans le gêner admirablement.

Le monstre n'était pas habitué à un tel accoutrement, ainsi déguisé, il ressemblait à n'importe qui - en dehors de sa masse musculaire prépondérante et, peut-être, de sa chevelure flash. Pour cette fois le monstre ne prendrait pas non plus la peine de revêtir son arme : c'était purement inutile. Mais puisque sa préparation ne lui avait pris que quelques secondes, il avait tout de même saisi l'opportunité d'observer sa cimeterre un moment encore. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas entaillé la chair de quiconque... Mais il est vrai que depuis qu'il était en ville, Thanatos réalisait les contrats qui lui étaient proposés sous sa forme lycane, d'une part parce que le travail n'en était que plus rapide, et d'autre part parce que ça lui permettait un bon défouloir. Finalement il ne se servait que très peu de son arme : pour les rares contrats devant être réalisés en plein jour, seulement. Quoiqu'il en soit, le métal de l'arme embrassa à nouveau le rebord de la fenêtre et le lycan se détourna du paysage. Son corps s'inclina tout en marchant et la large main du monstre empoigna une bretelle du sac à dos qu'il avait préparé, pour le hisser machinalement sur son épaule par la suite. L'autre main actionna la poignée et son corps se redressa pendant la marche. Tout aussi habituellement il avait ramené la porte à sa suite et avait eu le temps de récupérer les clés dans la poche droite de son jogging pour fermer la porte à l'instant où elle venait de claquer. Un timing parfait qu'il s'efforcerait de garder pendant toute la soirée.

Les clés furent glissées dans la poche intérieure du sac à dos et celui-ci retrouva sa place sur le dos impressionnant du monstre alors qu'il dégringolait les escaliers à vive allure, le regard perdu pourtant dans le vague. Thanatos parcourut la ville sans y prêter beaucoup d'attention, à sa façon, il se déconnectait du monde et cela impliquait un regard froid adjoint d'un visage neutre, quoi que ce dernier point était habituel. L'homme devenu sa cible devait être tué aux alentours des 20h et il était déjà sur place avec un peu d'avance, comme bien souvent. Les trente minutes qu'il allait perdre à attendre lui étaient nécessaires car le monstre avait horreur des imprévus. Déjà, s'il loupait sa cible, il pouvait dire adieu à la somme totale qui lui avait été proposée et ne devrait se contenter que de la moitié. Ensuite, parce que si la cible lui filait entre les pattes à cause de quelques petites minutes de retard, la colère du lycan reposant en lui deviendrait très vite incontrôlable et en cette occasion, le monstre ne prêterait plus d'attention aux alentours, qu'importe qu'il soit alors en plein centre-ville, devant un restaurant blindé, ou autre.

Ce tragique scénario n'allait pourtant pas se réaliser ce soir et c'est très calmement qu'il se posa dans une petite ruelle. Assis à même le sol, le lycan retira le sac qu'il avait sur le dos et ouvrit la pochette extérieure pour en sortir une figurine de bois. C'était une habitude pour lui : arriver en avance et combler le temps en sculptant, en souvenir de ses jeunes années. La figurine en cours et le couteau qu'il utilisait ne quittaient jamais son sac. Lorsque la figurine était achevée, elle rejoignait les centaines d'autres dans une boite en carton chez lui et il remettait alors un nouveau morceau de bois pour les missions à venir. C'est donc en silence que le lycan se contenta de finir la sculpture de bois qu'il avait commencé plusieurs nuits plus tôt, à l'occasion d'une mission de plus. Le travail avait beau être minutieux et précis, le temps passa très rapidement et bientôt déjà, il dut remettre son passe-temps à sa place pour se redresser. Peu à peu, Thanatos revenait à la réalité, il prêtait à nouveau attention aux odeurs parcourant les rues, aux ombres se dessinant rapidement dans les coins de rue. Il prêtait aussi attention au moindre bruit et pour le moment, le plus grand silence était de mise. Puisqu'il lui restait quelques minutes encore - selon lui -, et qu'il tenait à faire quelque économie sur ce point, le monstre prit le temps de retirer le tee-shirt qu'il avait enfilé plus tôt. Il comptait faire la même chose avec le jogging mais il n'en eut pas le temps car déjà, il entendait des pas pressés à l'autre bout de la rue.

Un sifflement silencieux lui échappa et le monstre ne perdit pas davantage de temps, car la transformation n'était pas rapide, d'autant qu'il lui fallait encore, malgré les années, un certain temps de récupération. Les muscles du lycan gonflèrent et les nerfs de ses membres apparurent à la surface de sa peau. Il était possible d'en suivre le chemin sans trop faire d'efforts mais bientôt la peau du monstre prit une teinte un peu plus foncée et des poils la recouvrirent. Les muscles de la bête gonflèrent encore un peu et sa taille évolua également, chose qui eut raison du jogging qui, en dépit de sa faculté impressionnante à se distendre, ne fut capable de contenir la taille volumineuse des cuisses du monstre. Le craquement de tissu fut le dernier bruit qui parcourut la rue et maintenant, le monstre s'appuyait contre la paroi à ses côtés, tâchant de reprendre rapidement son souffle. Il lui fallait aussi le temps de se familiariser à nouveau avec son corps : le mouvement de ses oreilles, la rétractation de ses griffes, les battements de sa queue. Pour tout cela cependant, il ne lui fallait que quelques secondes. Des secondes inutiles, visiblement, car alors que la bête se redressait, un puissant coup de feu retentit et la figea. Après ce son, un silence parfait retomba sur les ruelles proches et la respiration même du lycan s'était arrêtée nette. Déjà, ses babines se redressaient pour dévoiler ses crocs aiguisés et lentement il se mit en mouvement pour s'aventurer dans la rue qu'aurait dû traverser sa proie. A n'en pas douter, le spectacle qu'il découvrit ne lui plut nullement d'où le grognement rauque et puissant qui lui échappa. Les yeux cyan de la bête s'étaient d'abord posés sur la cible qui lui avait été assignée, maintenant étendue au sol et commençant d'ores et déjà à baigner dans son propre sang. Puis ils migrèrent sur l'autre personne présente, se tenant non loin du macchabée. Le responsable, sans doute.

Elle...

- Sarah Harlow. Une jeune femme dont le cœur fut brisé il y a tellement longtemps. Pourtant, il lui semblait que le jour qui fit basculer sa vie venait de se dérouler devant ces yeux émeraude qui la caractérisaient tant. Pourtant, elle était bien loin de cette réalité qu'elle cherchait tant à évincer de son esprit. Loin de plusieurs longues années. Et au fur et à mesure, sa vie prit une tournure qu'elle n'avait pas maîtrisée et qui la déstabilisait de plus en plus. Ce qui avait d'ailleurs le don de l'agacer lorsqu'elle se retrouvait seule chez elle, à méditer ses recherches. Et quelles recherches ? L'œuvre de feu son père et à présent la sienne. Sa vie n'était centrée que sur elles. Et pourtant, même cela avait changé. Auparavant, elle restait cloitrée dans son appartement, à étudier et approfondir ses études. Et la voilà maintenant baguenauder dans l'obscurité de la ville en quête d'action.

Qu'est ce qui l'avait amené là, équipée d'une arme, à la recherche d'un homme qu'elle devait supprimer ?

- Sullivan Herns. La Coalition, ou peut-être la ville elle même. Puisque sa vie avait enclenchée son changement radical depuis sa venue ici, dans cette ville. Elle lui avait apporté beaucoup de chose, essentiellement du piment dans sa vie plus que monotone. Sa simple aide à l'extermination des Buveurs de Sang était maintenant devenue une véritable participation. Car oui, cet appel d'action avait bel et bien été apporté par son supérieur hiérarchique, Sullivan. Une sorte de mission test l'animait ce soir là. : tuer un hybride. Elle savait garder son sang froid en toute circonstance, pourtant, aussi étrangement que cela puisse paraître, cette promesse de violence aiguisait ses sens et occupait son esprit. Voilà une adrénaline qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant et qui lui semblait curieusement plaisante. Non pas que l'appel du sang se fasse intense mais plutôt le fait de participer activement à la suppression des vampires.

- Le jour J était maintenant arrivé. Elle s'était levée habituellement tôt, soit six heures passées de dix pauvres petites minutes qu'elle s'était laisser comme « repos supplémentaire ». Car oui, la seule chose qui n'avait pas changé chez elle était très certainement cette manie qu'elle avait de se lever à des heures défiant son emploi du temps déjà bien trop chargé. Et pourtant ce jour là, elle avait veillé à le laisser vide. Ainsi, sa semaine fut exceptionnellement horrible. Mais soit, c'était son choix. Et son réveil fut agité. Elle sauta purement et simplement de son lit, et partie à la douche. Une douche froide – Brr, personnellement je n'ai jamais fait ça et je ne le ferais jamais. Elle sortie, trempé, les cheveux dégoulinant sur son visage, et machinalement, elle attrapa le paquet de cigarette qui se trouvait sur l'évier. Elle sortit un bâton de tabac et quitta la salle de bain -ne prenant même pas la peine d'envelopper son corps d'une quelconque serviette- à la recherche d'un briquet qu'elle attrapa rapidement. Elle actionna le mécanisme et l'approcha du bout de la cigarette. Pourtant elle se stoppa. Chaque matin semblait être la même rengaine. Il était là, couché sur un coussin, recroquevillé sur lui même. A chaque début de journée, elle oubliait sa présence. Il se faisait étrangement discret. Elle le fixa un moment puis retira son pouce du briquet et reposa tout sur une table. Elle s'approcha de lui, de petites gouttes claquant sur le parquet. Elle s'agenouilla et gratta la tête de ce petit être encore dépourvu de nom. Son visage était devenu, depuis son arrivé dans sa vie, étrangement paisible.

- Puis, la routine habituelle. Nourrir le chiot. Boire rapidement un café, avaler un pastille d'acérola. S'habiller. Elle enfila d'abord ses sous-vêtements en dentelle noir puis s'attela au reste. Aujourd'hui elle avait opté pour un pantalon slim en cuir qui dessinait magnifiquement ses formes fuselés. Elle attrapa ses escarpins laqués et se dirigea vers sa veste quand elle se souvenu brusquement qu'elle n'avait rien d'autre à faire à part attendre le couché du soleil -et que, de toute façon, elle n'avait qu'un soutien gorge. Elle resta un instant immobile avant d'intégrer cette information qui lui semblait bien étrange. Elle soupira alors et se dirigea vers son lit et s'assit. Le chiot -ayant finit son repas- se dirigea alors vers elle d'un pas jovial. Elle passa sa matinée à ses côtés, à le grattouiller et le caresser. Il illuminait curieusement son existence et lui arrachait quelque fois de petits sourire inconscient.

- La journée continuant son périple, après avoir grignoté, elle attrapa son walther ppk et s'assit à nouveau sur son lit, passant la majorité de son après midi à contempler son arme qui allait, ce soir, faire sa première véritable victime. Elle imagina la scène des dizaines de fois, si ce n'est plus. Quelque fois elle pointa même le chiot -en s'assurant bien sur que le cran de sécurité était bien actionné- qui lui ne comprenait visiblement rien et qui se contentait de reste assis en remuant la queue. Sa journée ne se résumait qu'à passer le temps. Un temps qui était devenu plus ou moins de la préparation.

- Dix huit heures. Cela n'allait pas tarder. Sa chevelure chaleureuse avait eut largement le temps de sécher. Elle se leva et rejoignit une fois de plus la salle de bain afin de parfaire son apparence. Elle laissa libre ses cheveux naturellement ondulés, souligna ses yeux d'un trait noir et assombrit légèrement ses paupières. Elle enfila enfin un corset rouge, plutôt simple, en cachemire, sans aucune fioriture. Elle enfila ensuite une veste plutôt courte, noire, qui laissait entrevoir le bas de son corset. Elle s'approcha ensuite de la porte en attrapant ses clés, son arme -qu'elle glissa dans son dos- avant de se retourner et d'observer le chiot qui s'était assis non loin d'elle, en gémissant doucement. Elle s'accroupit devant lui en lui caressant la tête et lui adresse une parole dont la douceur était un parfait contraste avec son caractère.

"Je reviens le plus vite possible."

- Elle se releva et quitta l'appartement, en refermant la porte derrière elle. Elle emprunta l'ascenseur et quitta rapidement l'immeuble, se dirigeant à présent vers la profondeur des rues de la ville. Elle devait le trouver d'ici quelques temps, dans une ruelle sombre. Elle avait encore du temps devant elle et se dirigeait vers ce lieux d'un pas lent. Elle avait du chemin à faire, mais étant donné que l'heure à laquelle elle le trouverai était encore plus ou moins lointaine, elle décida de s'y rendre à pied. Et au bout d'un long moment, elle arriva enfin. La ville s'était parfaitement recouverte de son voile sombre. Les rues illuminées de nombreuses lumières. Pourtant, cette ruelle n'était finement éclairé que par les lueurs environnantes. Elle entendit alors des pas et s'y engouffra à son tour. Il lui semblait que la vie urbaine avait cessée. Là, brusquement et volontairement, elle bouscula un homme. C'était lui. S'en suivirent les politesses habituelles, les mines désolés et les fausses excuses. Mais là, il était temps. Il fallait agir vite. Elle sortit son arme et la pointa entre les deux yeux de l'homme. Il était assez proche pour sentir la pression du canon sur sa peau. Elle sourit, lui adresse une dernière excuse et tire. Le coup de feu résonnant dans la ruelle. Elle resta un instant immobile et abaissa son arme, fixant le corps inerte qui commençait doucement à baigner dans son sang. Il lui fallait à présent finir le travail. Pourtant, elle ne put le faire, car en relevant le visage, elle fut face à une silhouette imposante. Elle le fixa, le visage sévère. Un grognement. Elle ne distinguait rien parfaitement, se contentant de faire un pas en arrière et de serrer son arme, qu'elle commençait à relever en l'empoignant de ses deux mains, certainement pour le viser. C'était, pour elle, la seule manière de réagir.

Une multitude de sentiments parcouraient la bête alors que ses yeux étaient braqués sur la cible qu'il avait traqué, actuellement étendue au sol. Immobile, presque mort maintenant, l'homme à exécuter était aux pieds de l'humaine qui s'était chargée de lui tirer une balle entre les deux yeux. Elle était encore droite et fière devant l'homme qu'elle venait d'assassiner, mais la présence du monstre la dérangea et elle le fixa plus ou moins sévèrement. Un nouveau grognement échappa à la bête, plus proche, cette fois, du grondement pur et simple alors que sa silhouette s'abaissait dans l'ombre. Alors que l'humaine faisait un pas en arrière tout en joignant ses mains sur l'arme dévastatrice qu'elle tenait encore fermement, Thanatos posait tour à tour ses deux pattes avants au sol. Cette Sarah ne manquait pas de culot, mais il avait déjà eu l'occasion de s'en rendre compte. Une rencontre par le passé lui avait permis de voir qu'elle n'avait pas froid aux yeux, mais qu'elle avait également un caractère bien trempé en dépit de son apparence chétive. Son comportement actuel trahissait tout son caractère puisque, quand bien même elle ne devait guère distinguer le monstre dans la pénombre, elle se préparait à tirer. Et face à tant de désinvolture, comment pouvait-il réagir ? Plus énervé qu'au préalable, le colosse se mit à avancer peu à peu. Son corps massif approcha alors d'un coin de lumière. En effet, la ruelle principale dans laquelle il se trouvait ouvrait l'accès à de nombreuses autres ruelles et parmi ces dernières, certaines avaient en leur bout, quelques lampadaires susceptibles d'éclairer le chemin.

La main griffue et immense du monstre fut la première dévoilée et même si la majeure partie de son corps restait dissimulée dans les ténèbres, à l'approche de cette funeste lumière, ses yeux azurés luisaient dans la nuit. Le bras visible recouvert d'un poil sombre sembla se fléchir un peu et l'autre bras apparut, dévoilant par la même occasion la tête massive de la bête et sa gueule pleine de dents aiguisées. Babines retroussées et vibrantes, les crocs du monstre étaient à découverts et à des intervalles réguliers, la gueule de la bête s'entrouvrait pour laisser passer un grondement sourd. Les gestes du monstre étaient lents, et c'est avec cette même lenteur exagérée que la patte arrière droite du démon s'approcha de la lumière alors que son corps pivotait sensiblement sur lui-même. S'il agissait de la sorte, ce n'était pas par peur, mais plutôt pour intimider l'humaine. Par ailleurs, il préférait se dévoiler lentement plutôt que de la surprendre en apparaissant soudainement à ses côtés. Il valait mieux, pour le monstre, qu'elle voit d'abord à quoi elle avait affaire avant de retrouver cette même créature tout près d'elle. Et en se mouvant de la sorte, outre sa taille et son apparente agressivité, Thanatos n'avait presque rien de dangereux, en tout cas, il ne laissait pas transparaître sa rapidité. Ses pattes avants se fléchirent à nouveau avant de lui donner de l'élan pour se redresser. La seconde patte arrière du lycan apparut dans la lumière et désormais il était entièrement visible aux yeux de l'humaine. Ses oreilles étaient fièrement dressées sur son crâne mais les yeux de la bête étaient tout juste visibles tant ils étaient plissés. A l'image de ses actes, le torse du monstre se soulevait et s'abaissait à un rythme régulier et apathique, mais il l'observait au moins autant qu'elle. Le monstre n'était pas immortel, mais il se montrait sans grande crainte puisqu'il savait qu'une balle, même au beau milieu de son cœur, ne le tuerait pas. D'ailleurs, même s'il venait à se trouver dans un sale état, nécessairement, la transformation s'annulerait et peut-être se raviserait-elle en le reconnaissant.

La bête resta encore un moment nonchalante et son attitude changea finalement. Les muscles du monstre semblèrent se contracter et les puissantes pattes arrières de la bête la propulsèrent vers l'humaine. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour rejoindre la rouquine qu'il avait déjà rencontré auparavant, et en un mouvement brusque de la patte gauche, le lycan envoya valser l'arme contre un mur. La lenteur dont il avait fait preuve jusqu'à maintenant le reprit de plus belle et le monstre approcha sa gueule du visage de la jeune femme avant de laisser filtrer entre ses crocs un grognement de plus. Son attitude était purement dissuasive mais il n'espérait pas grand chose de la part de l'insolente. Si la mémoire du lycan ne lui faisait pas défaut, il savait que Sarah n'était pas du genre à abandonner si facilement. Par ailleurs, elle semblait être également curieuse. Cette caractéristique l'empêchait sans doute d'avoir peur du monstre, l'incitant alors à le détailler davantage, à s'y intéresser. Un court instant, Thanatos oublia l'humaine et reporta son attention sur l'homme prétendu mort, gisant encore au sol. Maintenant qu'il s'y attardait un peu plus, le monstre était apte à se rendre compte qu'il avait un hybride face à lui. Plus faible que les autres de sa race, il lui faudrait encore un moment avant de se régénérer, puis de se relever, si bien que le monstre ne se pressait pas pour lui ôter le cœur. Peut-être que la petite humaine qu'il avait face à lui s'y aventurerait. En attendant, il se redressa dans toute sa hauteur et jeta un regard vif à l'humaine en contrebas. Ses babines vrombirent une nouvelle fois avant que sa voix ne se fasse entendre, un brin plus rauque que d'ordinaire.


' Encore dans les bas-quartiers à te mêler de ce qui ne te regarde pas, humaine ?.. '
La tête du colosse pivota ensuite et ses yeux azurés se posèrent sur l'arme scintillante à quelques pas.


[Mille excuses pour la réponse courte... Je ne voulais pas que Thanatos retrouve sa forme humaine si tôt.]

Le regard figé sur l'arme ayant été en possession de l'humaine jusqu'à maintenant, Thanatos se refusait à bouger et attendait patiemment la réponse à la question qu'il avait formulé à demi-mots. Alors qu'il s'était découvert, puis approché, l'humaine avait semblé surprise mais pas réellement apeurée. Si elle avait reculé, c'était par pure précaution et non par réelle peur. D'ailleurs ses sens, bien plus développés que ceux des humains, ne détectaient en rien de la peur chez la belle, ils décelaient autre chose et tout le contraire : de l'excitation Mais à l'entendre parler, l'expression de l'humaine s'était peu à peu modifiée et elle n'eut aucun mal à le reconnaître : déjà, son nom se faisait entendre bien que tiré d'un ton hésitant. A l'entendre ainsi prononcer son nom, la bête ne put empêcher ses babines de se surélever en un semblant de sourire malveillant dévoilant les crocs ancrés dans sa mâchoire. Peu à peu alors, les yeux de la bête pivotèrent jusqu'à l'humaine, détaillant son visage toujours aussi neutre en dépit de ce à quoi elle était confrontée. A nouveau elle essaya de parler mais se stoppa d'elle-même et ne laissa échapper qu'un simple soupir. Malgré le silence qu'elle arborait, le monstre semblait déceler bon nombre de questions dans les yeux de l'humaine ; des questions auxquelles il ne répondrait sans doute pas si jamais elle s'aventurait à lui poser.

La tête massive du colosse pivota à nouveau sur elle-même et le regard azuré de la créature vint se poser sur l'hybride encore étendu au sol. Il se demandait encore s'il se devait de lui arracher le cœur pour avoir le mérite d'avoir achevé la proie. D'un autre côté, maintenant, elle ne lui appartenait plus réellement et tout le mérite revenait à l'humaine ou presque. Le sourire désormais effacé de la bête devint un peu plus décadent encore alors que les yeux du monstre se plissaient. Lentement, la silhouette massive du lycan se pencha et ses pattes avants épousèrent le sol en un bruit sec et brutal. Le museau du loup s'approcha du vampire et en huma l'odeur un instant, avant qu'un grondement rauque ne lui échappe. L'une de ses lourdes pattes avants quitta le sol pour prendre appui sur l'une des épaules de l'hybride : puisqu'il y appuyait de tout son poids, ou presque, un craquement sonore se fit entendre mais il ne gêna en rien le lycan qui déjà, avait immobilisé sa lourde tête au niveau du cœur du vampire. Subsistant difficilement, le muscle semblait poursuivre ses battements lents et paresseux, projetant le sang dans le corps du vampire qui était toujours inconscient, aussi étonnant que cela puisse paraître. Thanatos perdit toutefois patience et tandis que son autre patte retenait l'un des bras du vampire, sa gueule s'ouvrait désormais pour s'approcher du poitrail du vampire. Brutalement et en un claquement sec, les crocs du monstre se refermèrent sur la chair du vampire et les muscles de sa mâchoire aussi bien que ceux de son cou se mirent en marche pour déchirer chair et vêtements. Deux grands coups de mâchoires suffirent au lycan pour qu'il parvienne à atteindre le cœur de l'hybride : le transperçant d'abord à plusieurs reprises, et l'avalant finalement car, après tout, le monstre n'avait pas encore eu l'opportunité de se repaître.

Désormais, ils ne seraient plus susceptible d'être dérangés par la soudaine régénération du vampire : négligemment, le lycan s'était déjà emparé du cadavre par le poignet et l'avait projeté un peu plus loin dans la ruelle aussi aisément qu'il avait envoyé dans l'espace, le revolver de l'humaine. En pensant à l'arme, il pensait d'ailleurs à sa propriétaire et se souvenait alors de sa proximité. Seule la tête de la bête pivota afin de s'assurer que Sarah n'était pas encore partie ; mais bien trop fascinée qu'elle était, elle ne semblait pas avoir véritablement bougé. Les pattes avants du monstre impulsèrent un nouveau mouvement et le monstre se redressa lentement. La tête toujours fièrement dressée, il regardait les environs dans les moindres détails. Avec attention d'abord, il écoutait le bruit le plus infime pour s'assurer que nul ne venait en ces lieux ; avec considération ensuite, il sentait les fragrances les plus légères et désagréables volant et virevoltant dans les parages ; avec égard enfin, il observait l'ombre la plus discrète afin d'être certain que nul ne se faisait discret, en cette zone, pour les espionner. Une fois cette vérification poussée achevée, la langue du monstre s'échappa de sa gueule pour lécher ses babines et lourdement, la masse sombre regagnait l'ombre d'un bâtiment et l'arme de l'humaine de surcroît.

Le colosse s'inclina sensiblement en avant, une patte posée sur un mur solidement érigé devant lui. Un à un les muscles du démon se contractèrent et son poil se hérissa. Mâchoire serrée et yeux clos, pendant cet instant peut-être, le lycan était vulnérable. Bien rapidement cependant, les poils disparurent et sa peau d'abord grisée s'éclaircit quelque peu. Les muscles de la bête s'amenuisèrent sensiblement, bien qu'encore impressionnants pour une espèce d'humain, et enfin, son faciès retrouva une apparence plus convenable. Alors même que cette transformation était devenue habituelle depuis longtemps, il ne pouvait empêcher systématiquement la sueur de perler sur son front ou le long de son torse désormais dénudé. Il ne pouvait guère en être autrement : même s'il y était habitué, son corps se transformait entièrement et évoluait en conséquence. Un soupir bruyant marqua la véritable fin de sa transformation et plus aisément, avec davantage de fluidité peut-être, le monstre s'abaissa pour récupérer le revolver de l'humaine tout en observant le morceau de métal avec attention. Sans se retourner et faire face à son interlocutrice, le lycan laissa quelques paroles lui échapper d'une voix enrouée.


' Tu ne me réponds pas. Tu me voles ma proie. Tu ne trouves pas même le temps de l'achever... '
Le nez du monstre se plissa quelque peu et sa lèvre supérieure se suréleva pour laisser entrevoir quelques dents aiguisées alors qu'une odeur désagréable de métal lui parvenait. Après cette courte pause, il reprit la parole sur un ton plus sec encore.


' Et par-dessus tout, tu fais partie de ceux qui jouent avec ces 'revolvers'. Mais... '
A ces mots le lycan autopsia l'arme en l'ouvrant et la déchargeant dans la foulée. Alors même qu'il n'usait jamais de ces armes à feu, le monstre en connaissait vaguement le mécanisme. Étant donné le nombre d'années à son actif, il avait eu l'occasion de voir les armes se développer et avait même pris le temps de les essayer. Sans qu'il n'en connaisse la raison, ces armes à feu n'avaient jamais été sa tasse de thé : il préférait de loin, outre la force brute, les armes blanches. Mais à l'heure actuelle, les gens pensaient que rien ne valaient les armes à feu. Contre un humain, c'était sans nul doute un sérieux avantage, en effet ; mais ce n'était que bien peu de choses face à une créature. Une fois l'arme déchargée ou mise hors d'état de nuire, que restait-il à l'humain ? Pour Thanatos, ces armes n'avaient rien de bon. Tout d'abord, elles étaient bruyantes, quand bien même des silencieux existaient. Ensuite, elles laissaient de nombreuses traces derrière elles et une douille de balle suffisait désormais à déterminer le type d'arme utilisé, pour un peu qu'on ne trouve pas directement son propriétaire. Enfin, elles initiaient une sorte de dépendance à l'encontre de l'utilisateur. Ce dernier ne voyait plus que par son arme et ne comptait plus que sur elle, la considérant comme infaillible, imprenable. Et elle ? Qu'en était-il ? Était-elle incapable de se défendre en l'instant ? Se voyait-elle réduite à la merci du colosse ?


' ... Qu'advient-il de toi, lorsque tu n'as plus cette arme à ta disposition et qu'un monstre est face à toi, humaine ? '
A la suite de ces paroles, le monstre s'était retourné et faisait désormais face à l'humaine. Lentement il s'était approché d'elle jusqu'à se retrouver à quelques pas seulement. Ayant désormais le regard ancré dans les yeux de la demoiselle, le monstre laissa tomber l'arme et ses munitions aux pieds de la belle : entre lui et elle. Sans chercher à palier à sa nudité actuelle si tant est qu'il en est simplement conscience, Thanatos agissait comme il avait l'habitude de le faire : ainsi donc, ses bras imposants se croisèrent sur son torse gonflé et un bref sourire tenta d'étirer les lèvres du lycan. Avec beaucoup de mal, cette esquisse de sourire parvint tout de même à surélever sensiblement le coin droit des lèvres du monstre. Alors même qu'il avait un air impétueux sur le visage, actuellement, sans doute sa fierté était-elle un brin piquée au vif. Après tout, il n'avait pas été capable de tuer lui-même l'homme ayant fait l'objet de son contrat et n'avait pu que trop tardivement se contenter de l'achever. Alors, au-delà de cet air impétueux et de cette fierté de mâle en partie détériorée, pointait sans doute la colère et le refus catégorique de s'abaisser aux simples restes d'un autre, d'une humaine, qui plus est...

Et le semblant de sourire du colosse s'effaça alors que ses sourcils se fronçaient exagérément.

Sans ciller comme bien souvent, l'humaine l'avait observé. Jamais elle n'avait reculé et toujours, elle avait affronté son regard, aussi dur soit-il. Rares étaient les fois où son regard déviait, mais cela pouvait arriver lorsque, par exemple, elle suivait des yeux la trajectoire de son propre revolver alors qu'il chutait. C'est pourtant en le regardant dans les yeux qu'elle lui répondit simplement et comme à son habitude, un brin d'insolence semblant se mêler à son ton de moins en moins hésitant. L'un et l'autre s'étaient déjà rencontrés par le passé et sans aller jusqu'à dire qu'une dispute en avait résulté, disons simplement qu'une certaine tension se faisait ressentir lorsque les échanges verbaux avaient lieu. Certes, il n'avait pas réellement besoin d'une réponse afin de connaître la raison qui l'avait amené ici : il en avait glorieusement déduit qu'elle était venue tuer l'hybride qu'il avait effectivement envoyé valser plus loin. Ce que sa question avait sous-entendu étant la raison même de ce meurtre, mais il supposait que les "motivations" de la demoiselle préalablement invoquées justifiaient encore amplement le meurtre qu'elle venait d'engendrer au moins partiellement. Le visage toujours aussi neutre, c'est sans réellement broncher qu'il l'écouta et l'observa prendre une posture propre à ces dames. C'est donc avec une hanche sensiblement décalée sur le côté, recouverte de l'une de ses mains qu'elle reprit la parole. Si elle affirmait ne pas vouloir lui mentir, elle ne lui apprit rien de plus cependant. Il savait déjà qu'elle était humaine, et il savait également qu'elle n'avait pas les mêmes facultés que lui pour le combat. Ses yeux se plissèrent lorsqu'il l'entendit ricaner cependant, et elle acheva dignement sa prise de parole en formulant les pensées qui avaient traversé l'esprit de la bête.

L'humaine face à lui faisait partie d'un certain type de personnes qu'il n'appréciait guère. Ceux qui parlent et donnent, de ce fait, des informations qu'on croit intéressantes dans un premier temps, mais qui se révèlent être par la suite, parfaitement banales. On les pensait alors capable d'établir un raisonnement, ce qu'elles faisaient brillamment, mais en se moquant ouvertement de l'individu en face. Ainsi les yeux bleus du monstre roulèrent sous ses paupières et un grondement sec et brutal s'échappa de sa gorge alors qu'il se détournait. En silence il s'éloigna de l'humaine et ne rouvrit les yeux qu'à mi-chemin. Toujours attentif aux alentours, il regagnait ses affaires déposées dans une ruelle un peu plus étroites que les autres. C'est en songeant à l'humaine, à ses propos et à son attitude qu'il sortit ses vêtements et s'en revêtit au moins partiellement. Glissant les bandoulières de son sac sur une seule et même épaule, il tenait sa veste entre ses crocs et s'attardait à resserrer la ceinture de tissus qui lui servait à retenir son large pantalon oriental. Rapidement il fut à nouveau à hauteur de l'humaine, à quelques pas d'elle simplement. Le monstre laissa son sac glisser le long de son bras pour tomber vulgairement au sol alors qu'il enfilait maintenant sa veste, remontant ensuite, plus par habitude que par réelle nécessité, les manches recouvrant ses bras. A nouveau par habitude, les bras puissants du monstre se croisèrent sur son torse tandis qu'il mesurait l'humaine d'un air grave.


' En fait... Même face à un homme de ta race, tu ne peux pas faire grand chose... '
Savait-elle seulement courir ? A en juger par le comportement qu'elle avait eu jusqu'alors, il avait quelques doutes. A croire que cette humaine, comme d'autre, ne parvenait pas à faire la part des choses. Son instinct de survie avoisinait sans doute le niveau zéro, à moins qu'il ne soit surpassé par sa curiosité et sa soif de connaissance. Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, elle ne laissait transparaître aucun des deux ; et la remarque qu'il avait faite un peu plus tôt était plus un constat qu'il faisait, aussi bien pour l'humaine que pour lui-même. Peut-être avait-il été un peu trop optimiste en prétendant qu'elle ne pouvait rien faire contre un monstre tel que lui. En effet, et c'était indéniable, sans son arme - et même avec -, elle ne pouvait pas grand chose contre un lycan ou un mordu. Mais elle semblait ne pas pouvoir grand chose non plus contre un humain, même de constitution relativement normale. Inconsciemment, il la toisait du regard et inconsciemment également, il semblait chercher un moyen de palier à la faiblesse de l'humaine. Peut-être le cherchait-il parce qu'au fond, quand bien même elle pouvait se montrer insupportable, le courage ou la folie dont faisait preuve Sarah lui plaisait. Elle avait un côté impétueux, une hargne sans faille qui pouvait la mettre parfois en danger, mais qui l'avait peut-être sauvé d'autres fois. Un nouveau grognement s'échappa de sa gorge, mais celui-ci se voyait plus long et plus faible que le précédent. Finalement, la mâchoire du lycan se desserra afin qu'il ne formule quelques propos, suivant toujours le fil de ses pensées.


' Même avec une arme, tu commets des erreurs en mettant trop de temps à achever ta victime, par exemple... '
En conséquence de quoi, il pourrait peut-être l'inviter à suivre un entraînement particulier en sa compagnie. Il ne manquait alors plus que l'invitation à formuler mais une telle prouesse était simplement impossible pour lui. Même implicitement, il avait trop de fierté pour laissait croire à quiconque qu'il était susceptible de porter un intérêt sur une certaine personne. Il attendrait éventuellement qu'elle lui pose des questions, qu'elle fasse une remarque ou s'en aille simplement. Qu'importe la méthode employée, si ce n'est les mots, Thanatos pouvait déployer toutes sortes de procédés pour se montrer convainquant. Si ses mots ne suffisaient pas à convaincre la demoiselle, ou à l'amener sur la piste qu'il voulait, alors il la provoquerait ouvertement. Voilà que se profilait en tout cas, une sorte de nouvelle mission qui, qui plus est, ne lui apporterait strictement rien financièrement parlant. Il n'était pas dans les habitudes du monstre de travailler bénévolement mais exceptionnellement, pour une femme, peut-être pourrait-il entraver quelques uns de ses principes. En un bref froissement de tissu, les bras imposants de la bête se décroisèrent et ses mains se crispèrent mécaniquement dans le vide. Comme pour s'assurer que ses nerfs jouaient effectivement leur rôle, il recroquevillait peu à peu ses mains tout en reportant les yeux jusqu'au ciel. Le temps qu'il pourrait accorder à l'humaine si jamais il devait lui en accorder un serait nécessairement limité car la nuit, il travaillait. Il dormait une partie du jour et il ne lui restait alors plus que quelques heures à vouer au reste. Les yeux du monstre se reportèrent finalement sur l'humaine, se posant naturellement dans ses yeux de jade.


' Tu comptes palier à ces faiblesses, ou tu vas laisser courir ? '
Le monstre soutint le regard de l'humaine quelques instants encore avant de l'incliner supposément vers le bas et notamment sur son sac. La bête resta immobile un moment et s'inclina finalement pour sortir du sac à dos le couteau qu'il utilisait pour sculpter le bois. Affuté mais assez vieux étant donné la lame abimée et le manche délavé et rayé à de nombreuses reprises, le couteau dont il était question datait des jeunes années du lycan. C'était son père qui lui avait offert s'il se souvenait bien. Un cadeau qu'il avait fait à chacun de ses fils pour tenter de leur communiquer sa passion de la sculpture et force est de constater que la technique avait marché pour au moins deux d'entre eux. En silence, le colosse se redressa et observa cette arme improvisée, perdue entre ses deux mains, tout en se remémorant les paroles qu'il venait de laisser échapper. Elles avaient, pour certaines en tout cas, et c'était irréfragable, des allures de conseils afin d'instituer peut-être, chez l'interlocutrice, un semblant de progrès pour les affrontements à venir. Or, tout comme il ne pouvait s'intéresser à quiconque par une trop grande fierté, le monstre ne pouvait pas non plus s'abaisser à donner des conseils spontanément. En se rendant compte du sens que l'on pouvait prêter à ses paroles, la bête eut un mouvement brusque, et l'une de ses mains fut entaillée par le couteau alors que ses yeux migraient lentement jusqu'au sang pointant déjà. Un autre grondement lui échappa, mais cette fois il se l'adressait à lui-même, et le lycan porta sa main entaillée à hauteur de son visage, léchant le peu de sang s'échappant de la plaie.


' ... Te fais pas d'idée, c'est pas des conseils mais des remarques. J'aime que le travail soit bien fait... '
Même s'il amenuisait la portée de ses paroles, il ne mentait pas pour autant.

- Un nouveau grognement. A leur première rencontre, elle ne comprenait pas les raisons qui le poussait à exprimer son agacement de la sorte. Elle avait jugé, à cet instant, qu’il voulait se montrer un brin bestial, sans doute pour montrer son agressivité. Un manière de se détacher du lot, sans doute. Mais, à présent qu’elle avait connaissance de sa nature, elle relia ces agissements à cette information. Sa nature animale et bestiale pouvait être la raison qui le poussait à grogner de la sorte. Lors de leur premier dialogue, elle trouvait d’ailleurs cette façon de s’exprimer bien plus que primaire et très agaçante. Pourtant, à présent, son avis sur la question avait visiblement changé. Elle s’y serait presque habituée. Cela faisait partie de lui et de sa nature, et elle l’acceptait de plus en plus. Aussi, lorsqu’il grogna pour ensuite se détourner d’elle, un léger sourire étira ses lèvres. Sourire qui disparu aussi rapidement qu’il avait vu le jour.

- A nouveau, elle le suivit du regard, sa hanche toujours sensiblement décalée. Pourtant sa posture était bien moins provocante qu’il y a quelque instant. Il partit alors rejoindre ses affaires, et c’est à cet instant que, enfin, elle se rendit compte de la tenue dans laquelle il se trouvait, c’est à dire rien. Elle cligna alors des yeux frénétiquement et leva les yeux au ciel pendant qu’il se rhabillait. C’est alors qu’il revint, et c’est en entendant ses pas qu’elle redirigea son regard sur le colosse. Il avait cette sale manie de se positionner non loin d’elle, la dominant de toute sa hauteur. Ajouter à cela ce croisement de bras qui le caractérisait tant, après qu’il eu finit de s’habiller. A nouveau, un léger sourire naquit sur les lèvres empourprées, accompagné d’un bref soupire, les yeux momentanément clos.

- Après quoi, elle releva les yeux vers lui, planta une fois de plus son regard dans le sien, avant qu’il ne se décide à reprendre la parole. Et pour lui dire quoi ? Qu’elle n’était de toute façon pas plus apte à se défendre face à un monstre qu’à un homme normalement constitué. A nouveau, un semblant de ricanement, alors qu’elle changea de position pour croiser ses bras, juste en dessous de sa poitrine, alors que sa hanche était restée décalée. Elle arqua ensuite ses sourcils, ne le quittant pas des yeux, poussant un long soupire, très peu audible. Un réaction très provocatrice, en somme. Mais son but n’était pas de le remettre en cause, bien au contraire. Elle savait pertinemment qu’il disait vrai, et cela l’agaçait tout naturellement. Elle cherchait également, par cet agissement, à ne pas perdre la face trop facilement, même si elle s’imaginait déjà six pieds sous terre.

- Elle observa alors ses yeux qui semblait la détailler. Il la toisait, et cela semblait inconscient. Elle fronça alors sensiblement les sourcils, attendant patiemment qu’il en finisse avec l’analyse de son corps manquant visiblement d’endurance et de force. Étrangement, il devait être l’une des seules personnes qu’elle ne coupait pas durant sa prise de parole. Car, ici comme à chaque fois, elle se contentait de l’observer lorsqu’il daignait lui adresser la parole. Et à cet instant bien plus qu’à un autre. Sans doute parce que, vraisemblablement, elle pouvait tirer profit de la relation qu’elle entretenait avec lui. Il lui demanda ensuite si elle comptait palier à ses faiblesses. Voilà la véritable question. Oui, elle était désireuse de devenir plus enclin à se défendre, cela allait de soit. Et il pourrait certainement l’aider quant à sa stature et sa compétence au combat. Ce court questionnement amena un nouveau froncement de sourcil, alors que ses yeux dérivèrent du corps imposant de Thanatos, pour se perdre dans le vague. Cette prompt réflexion valu également à ses lèvres d’être sensiblement mordillées, l’un des signes naturels qui indiquait la mise en route de ses méninges de façon plus ou moins habituelles. Et ici, ça ne l’était pas.

- Elle émit cependant une rapide réponse, à peine audible.

" Quelle question ... "

- Cela lui semblait bien sûr évidemment logique qu’elle allait chercher à palier à ces lacunes. Elle redirigea son regard sur lui, suivant la trajectoire de son corps alors qu’il se penchait vers son sac, sortant un couteau. Pourquoi avait-il sortit une arme blanche ? Elle n’en savait rien mais commençait cependant à s’en soucier. Elle commença alors à quitter sa posture, dénouant lentement ses bras alors qu’il fit un geste brusque, à priori inconscient. Elle eut alors un sursaut, alors que, naturellement, ses mains s’était dirigées non loin de sa blessure. Consciente de cette agissement trop proche d’un apparent inquiétude, elle les retira vivement avant de les glisser dans les poches de sa veste.

- Et contre toute attentes, non seulement elle ne défiait plus son regard, mais elle allait également dans son sens.

" Je dois pourtant admettre que tu as raison. "

- Elle baissa alors les yeux en soupirant, avant de les relever, lentement, jusqu’à les replonger dans l’azur des siens.

" Le problème étant qu’apprendre sur le tas ne m’aidera pas plus. Et taper sur un sac de sable dans une pièce vide ne m’intéresse pas. "

- Certainement trop fière, elle ne lui demanda pas d’aide. Pourtant, elle allait certainement devoir le faire à un moment où à un autre, mais tentait le plus possible de repousser l’échéance.

La bête avait désormais son regard posé sur le couteau encore au creux de ses mains et il écoutait d'une oreille attentive les propos de l'humaine lui servant d'interlocutrice. Ainsi elle envisageait de palier à ses faiblesses, ou sans aller jusqu'à affirmer cela : elle en était simplement consciente et ceci avait l'air de l'agacer. Réaction qui était sans nul doute normale et ce, pour n'importe qui : qui ne râlerait pas face à la liste de ses faiblesses et leur preuve, qui plus est ? L'humaine avait non seulement du courage, mais elle avait également l'intelligence d'admettre que Thanatos avait raison, quand bien même la chose lui déplaisait, elle aussi. Mains dans les poches et regard plus ou moins ailleurs, l'humaine avait repris la parole et lui avait ouvertement donné raison... Alors, sans une once de compassion ou de respect pour la prouesse qu'elle venait de réaliser, fière qu'elle était, le lycan ne put empêcher ses lèvres de s'étirer en un bref sourire qui eut pour conséquence de laisser échapper un ricanement de sa part. Voilà deux phénomènes qui paraissaient bien étranges chez la bête : jamais elle ne souriait, et il lui arrivait encore moins de rire, même s'il ne s'agissait que d'une moquerie. Avec Sarah pourtant c'était différent, puisqu'elle était aussi fière que lui, il prenait plaisir à en jouer et n'avait aucun doute sur le fait qu'elle en ferait autant si jamais l'opportunité se présentait. Malgré tout, le monstre n'était pas désagréable à regarder lorsqu'il souriait : ce rictus, quel qu'il soit, adoucissait quelque peu ses traits et le rendait plus sociable, voire même plus agréable. Cela dit, alors même qu'il ne s'agissait que de se moquer d'elle, le sourire ne resta que bien peu de temps accroché à ses lèvres, et Thanatos s'en sépara sans hésitation.

L'humaine avait à nouveau baissé les yeux, chose qui avait pour effet de lui donner un peu moins d'assurance que d'ordinaire. Elle avait des airs balbutiants qui ne lui sied guère, et un soupir vint conclure le propos. Peu à peu, ses yeux se redressèrent et à nouveau, ils se heurtèrent à ceux de Thanatos. Voilà que le jeu du regard revenait de plus belle, et pourtant rien n'était plus pareil. Quand bien même elle s'adressait à lui sans détourner les yeux, il n'y avais plus aucune lueur de défi dans les yeux de l'humaine. Était-ce là, reconnaître la supériorité du lycan ? Un tel constat était, quelque part, plus ou moins logique et pourtant ce même constat déplaisait grandement au lycan. Pendant toutes ces années, il avait développé une immense fierté et ne se laissait pas remettre en cause aussi facilement, qu'importe la personne qu'il avait face à lui. Sans y songer, il faisait preuve d'une détermination sans faille, par pur réflexe, et qu'il ait face à lui un humain, un vampire ou un loup, qu'importe les rangs respectifs : il restait confiant. En de nombreux siècles, le monstre avait appris à maîtriser son corps et plusieurs techniques de combat ; il savait ses limites et se fixait pourtant sans cesse des objectifs en apparence infranchissables. Le lycan plus qu'un autre appréciait les défis, et ne plus voir cette lueur dans les yeux de l'humaine l'agaçait, ou l'énervait même. Il aurait pu grogner brusquement et se braquer contre elle ; il aurait pu également tenter de la faire réagir, la provoquer, ou lui insuffler le peu de confiance qu'elle avait perdu peut-être. Mais il n'en fit rien. Le monstre resta de marbre et l'écouta ; ses yeux d'azur avaient quitté le couteau et étaient braqués dans ceux de l'humaine tandis qu'il continuait de faire aller et venir l'arme entre ses doigts.

Parce qu'il était à la fois égoïste et en grande partie insensible, le monstre n'avait manifesté aucune réaction face aux paroles de l'humaine. Plutôt que d'influencer les personnes dans leurs façon de penser ou de faire, il préférait se faire son propre avis sur la question en observant de loin. Alors, il pouvait réaliser les progrès lorsqu'il avait l'occasion de recroiser ladite personne, si tant est qu'il la recroise un jour. Cette façon de fonctionner depuis plus d'un millénaire lui avait au moins valu de voir en Sarah, les différences actuelles qu'il n'aurait peut-être pas remarqué en d'autres circonstances. Sans lui avoir réellement parlé, il savait qu'elle était déterminée, courageuse dans une certaine mesure, et relativement fière. Il savait qu'elle avait également la sale manie de regarder droit dans les yeux les étrangers qu'elle croisait tout juste et les défiait par l'intermédiaire de ce même regard, cette même manie avait d'ailleurs grandement énervé Thanatos dans un premier temps, mais maintenant il s'y était habitué. Quoiqu'il en soit, sa neutralité excessive lui permit de rester impassible face à la suite des propos tenus par la demoiselle. Même si elle avait admis la justesse des paroles du lycan, elle voyait un problème ailleurs et cette fois-ci, il lui incombait, à lui, de reconnaître qu'elle avait raison. Un entraînement est inutile s'il est grossier et s'il ne se fait qu'en quelques jours, ou en une simple semaine. Pour être passé par ces phases là, même s'il s'agissait d'un contexte différent, le monstre savait qu'un entrainement était le fruit d'un dur labeur et qu'il ne fallait pas être impatient dans ce domaine : les résultats tardaient parfois à arriver, et parfois l'on était déçu du résultat minime, face à l'effort conséquent. Mais toutes ces règles là, variaient d'une personne à l'autre, une chose était pourtant certaine : il n'y a qu'en s'exerçant que l'on progresse. Il trouvait cela dit dommage que l'humaine écarte d'entrée la possibilité de frapper dans un sac de sable : même si l'idée n'était pas des plus passionnantes, elle pouvait engendrer quelques résultats musculaires.


' Ouais. '
C'est tout ce que le colosse trouvait à dire des propos de la jeune femme, mais cela suffisait à signifier qu'il était globalement d'accord avec elle. Les yeux du lycan se détournèrent enfin de ceux de la belle et il les reporta sur son couteau, cessant alors de jouer avec. Ses doigts robustes se resserrèrent dans un premier tant sur le manche délabré, puis ils se rouvrirent un à un pour laisser l'arme tomber dans le vide, jusqu'à retrouver sa place dans le sac à dos. Certes, elle avait tort de ne pas commencer par un simple sac de sable, mais il pouvait comprendre l'intérêt limité qu'elle portait à l'activité. Au sens de Thanatos, rien ne valait un entraîneur. Il était toujours bon pour quelqu'un d'avoir un supérieur, un maître capable de repérer les erreurs, mêmes minimes, afin de faciliter le progrès. Il était presque indispensable d'avoir une telle personne à ses côtés d'ailleurs, et plus particulièrement encore dans le domaine du combat. Plus encore dans ce contexte où les vampires et les loups sont de mises : il n'était pas question d'apprendre à se battre pour le plaisir, il s'agissait là de tenter de sauver sa peau. En effet, contrairement à un sac de sable, un maître en la matière pouvait apprendre à se déplacer également, il pouvait multiplier les coups et les techniques, envisager des sortes de reconstitution. En d'autres termes, ce qu'il fallait à Sarah, c'était un entraîneur digne de ce nom. Mais pour obtenir l'aide d'une telle personne, encore fallait-il oser le demander. Ou plutôt : s'abaisser à le demander.


' Il te faut un coach, en fait : une personne capable de se battre, disposée à enseigner et qui connait l'existence des vampires et des loups, tant qu'à faire. Seulement, ça court pas les rues. '
Force est de constater que le monstre n'avait pas fondamentalement tort : elle pouvait en effet se contenter des enseignements humains, car après tout, ce serait toujours mieux que rien. Avec ça, peut-être serait-elle en mesure de se défendre face à des hybrides. Mais l'humaine n'avait aucune chance face à un mordu ou un lycan, et il n'était même pas certain qu'elle puisse faire grand chose contre ces derniers, et ce, même en suivant un entraînement digne de ce nom. Le minimum à lui enseigner était les points faibles de chaque individu, de chaque race et de chaque type. Était-elle d'ailleurs capable de discerner les humains, de vampires ou de loups ? Pouvait-elle différencier les hybrides, de mordus ou d'originels ? Rien n'était simple pour les humains mais la chose n'était pas non plus impossible pour eux, d'ailleurs ces humains laissaient à croire, de nos jours, que rien n'était impossible pour eux. Les sourcils du monstre se froncèrent plus que d'accoutumé et à nouveau son corps s'inclina sur lui-même. C'est alors qu'il posait le genou droit au sol que ses mains s'emparaient de son sac à dos : d'un mouvement sec et précis, il en ferma la fermeture et s'empara des bretelles. Tout en se redressant, le colosse fit pivoter le sac sur son épaule droite et, le port de tête haut, il laissa vagabonder son regard jusqu'à l'autre bout de la rue. Immobile et silencieux un temps, le monstre lâcha finalement un soupir et ses yeux se fermèrent lascivement.


' Sur ce... '
Et c'est en silence et sans lui porter un quelconque regard qu'il lui tourna le dos et s'éloigna.

Le monstre s'était retiré en silence et marchait à un rythme raisonnable ; il avait déjà dans l'idée de retrouver son employeur pour obtenir une partie de la somme d'argent qui lui avait été promis. Une partie seulement car il n'estimait pas avoir accompli entièrement la mission qui lui avait été confiée. Aussi, de la moitié restante de la somme globale du début, il ne prendrait que la moitié à nouveau. Ses plans furent cependant retardés non sans une trop grande surprise, quoi que la belle fut un peu longue à prononcer son nom. D'une voix claire et plus puissante que d'ordinaire, elle l'avait prononcé, et tel un animal bien dressé, le monstre s'était arrêté net. Immobile et toujours aussi discret, il n'avait toutefois pas pris la peine de se tourner et attendait la suite des évènements, la proposition qu'elle allait sans doute lui lancer. L'humaine avait du culot, il devait se l'avouer. Ce caractère qu'elle avait lui plaisait plutôt bien, d'ailleurs. Sarah avait la faculté de retourner la plus grande partie des situations à son avantage et c'est ce qu'elle venait brillamment de réaliser. Alors qu'il s'attendait à une demande banale, elle mêlait à ses questions un air de défi qu'il ne pourrait nullement refuser. A l'avoir observé un moment, elle devait savoir que sa fierté à lui était également trop grande, bien trop grande pour refuser un défi, même insurmontable. Cependant, le défi ici proposé n'avait en son sens, rien d'insurmontable : il ne serait pas simple, c'était certain, mail il était réalisable. Qui sait, peut-être y gagnerait-il quelque chose, d'ailleurs.

Cela dit, elle n'avait pas tort de poser autant de questions : étant donné le tempérament du monstre, ses grognements à répétition et son air sévère et agressif, peut-être valait-il mieux ne pas l'avoir comme entraineur. Si, dans une certaine mesure, il lui était encore possible de faire preuve de pédagogie, pour ce qui était de la patience, il n'en était pas aussi sûr. Thanatos est un perfectionniste et par voie de conséquence, il ne lâchera pas l'affaire avant que tout soir réalisé à la perfection, si bien que la question pouvait être retournée à son propre auteur. Certes, avait-il la patience d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit ? Mais elle, avait-elle la patience de suivre les conseils d'un être somme toute trop pointilleux ? Si le monstre était sceptique sur ces points, il se réconfortait en se disant que cette nouvelle approche entre lui et elle, donnerait naissance à de nouvelles étincelles. En d'autres termes : quand bien même ce ne serait pas fructueux, au moins ils ne s'ennuieraient point. Le fait cependant, qu'elle formule la requête de la sorte avait amusé le lycan qui s'était retourné à demi en la fixant simplement. Il croyait reconnaître la lueur de défi dans les yeux de l'humaine, celle qu'il n'avait plus perçu depuis un temps et avait ainsi estimé disparue. Les yeux de l'humaine se plissèrent un instant et elle semblait même sourire à la tournure que prenaient les choses. Désormais il en était certain : il ne s'ennuierait pas, pas avec elle. Cette vérité n'en fut que plus renforcée lorsque, d'un ton provoquant, elle se contenta d'ajouter un simple 'Alors ?'. Aussi simple soit-il, il avait quelque chose de déplaisant, à l'image du 'Ouais' qu'il avait prononcé plus tôt.

Le colosse pivota sur lui-même et fit machine arrière, revenant d'un pas lent vers l'humaine, la tête presque basse mais les yeux braqués sur elle. Bien que le pas soit lent, les enjambées du lycan lui permirent de se retrouver près de l'humaine en bien peu de temps et c'est à nouveau qu'il la mesura. Cette fois pourtant était différente des autres : il jaugeait l'étendue de l'entraînement qui devrait avoir lieu après cela, il songeait déjà à la méthode qu'il devrait employer où à l'endroit où ils allaient ainsi parfaire leur entraînement... Pas de grognements pour la peine, bien au contraire : Thanatos paraissait calme et songeur, à croire qu'il n'avait eu aucun mal à se glisser dans la peau d'un coach. Encore que cela n'avait aucun mérite : peut-être pourrait-il être félicité si jamais, plus tard, des résultats voyaient le jour. L'épaule supportant le sac à dos s'inclina sensiblement vers le bas et le monstre lâcha les bretelles pour que le sac se mette suivre la continuité de son bras, puis de son avant-bras et soit enfin stoppé par sa poigne de fer, le saisissant alors qu'il allait chuter dans le vide. Derechef le monstre s'inclina pour poser le sac au sol et par la suite, il se redressa bien plus lentement tout en se mettant en marche. Il fit un pas sur le côté et entreprit ensuite de tourner autour de l'humaine, poursuivant et approfondissant son observation. Il fit, de la sorte, un premier tour, puis commença un second mais se stoppa dans le dos de l'humaine. Ses yeux dévièrent cette fois vers le ciel et il laissa échapper un soupir.


' Juste pour te voir m'obéir, je serais capable d'une patience sans faille... Mais toi, es-tu capable de suivre des ordres et de les exécuter ? '
Au fil de ses propos, un léger sourire avait étiré les lèvres du monstre. L'idée de voir la demoiselle lui obéir était pour le moins plaisante, mais il tâcherait cependant de ne pas trop en abuser. Même s'il pouvait se montrer insupportable parfois, Thanatos savait que, par exemple, en l'occurrence, il ne profiterait pas outre mesure de l'entraînement qu'il devait donner à Sarah. Si d'ordinaire le monstre s'attache plus à l'argent qu'à la mission qui lui est fournie, lorsqu'il est question de combat, ses principes sont chamboulés. S'il peut apprendre à qui que ce soit comment se battre, alors il y prendra plaisir, seulement il faudra l'écouter attentivement et exécuter avec précision ce qu'il demande. Et sur ces quelques points, le lycan se savait intransigeant si bien qu'il avait quelques doutes quant aux facultés de l'humaine à suivre ses requêtes. Même si une partie de lui était amusée à l'idée de les voir se prendre la tête pour bien peu de chose, une autre partie était réticente à l'entraîner : principalement pour le caractère et la fierté dont Sarah faisait preuve. Mais qui sait, dans un cadre que l'on pouvait estimer comme étant plus ou moins professionnel, peut-être serait-elle plus supportable, et en mesure d'écouter, et même d'apprendre.


' Mais supposons que cet accord nous convienne à tous les deux. Où et quand s'entraîner ? '
La question du lieu et du temps dont il disposait était en effet primordiale. La première parce qu'il fallait un endroit assez reculé et plus ou moins discret. Un lieu où ils seraient libres de bouger, et de s'entraîner comme bon leur semble. Pour cela, bien évidemment, Thanatos avait les usines qu'il côtoyait fréquemment mais il ne les jugeait pas adapté à l'entraînement de l'humaine : elle débutait en la matière, il devait d'abord la tester pour voir ce dont elle était capable. Peut-être qu'une simple course au travers de la forêt pourrait s'avérer efficace. Quant à la question du temps, là encore, le problème s'annonçait complexe. Le lycan ne peut disposer de ses jours comme bon lui semble, et quand bien même il pouvait toujours sacrifier quelques nuits de sommeil, il ne pouvait pas réellement troubler ses habitudes. Son caractère et son mode de vie pourraient varier si jamais il n'avait pas l'occasion de chasser ou de dormir plusieurs nuits de suite : autant dire que son humeur n'en serait que plus altérée, déjà qu'elle n'est que que trop peu stable. Le monstre avait beau réfléchir, il ne voyait l'entraînement possible qu'en fin de soirée ou au beau milieu de la nuit ; mais tel était sa façon de vivre, et il croyait savoir qu'il n'en allait pas de même pour les humains. Encore qu'il faisait nuit, et elle était bel et bien là, devant lui. Enfin, une autre question lui brûlait les lèvres et il ne put s'empêcher de la poser alors qu'il reprenait sa ronde partiellement entamée, pour faire de nouveau face à la belle.


' Dis-moi dans tout ça... Qu'est-ce que je gagne ? '
Quand bien même, en l'occurrence, il n'avait que faire de l'argent, il n'avait pu retenir cette question par simple curiosité. Pour une fois, peut-être, le monstre était curieux de savoir ce qu'elle serait susceptible de lui proposer en échange. Peut-être était-ce un peu exagéré étant donné les allures que prenait la conversation : en effet, il avait plus ou moins forcé l'humaine à lui proposer d'endosser le rôle du coach dont il avait parlé plus tôt. D'ailleurs, le fait qu'elle trouve tout de même le moyen de le défier et qu'elle ait, qui plus est, déjoué la demande directe l'avait certes amusé, mais il ne s'était pas réjoui comme il aurait pu si elle le lui avait demandé ouvertement. Finalement, la question dernièrement formulée était peut-être là pour remettre les choses en place : une façon de lui signaler qu'elle avait toujours besoin de lui et qu'il était libre de refuser, la laissant alors avec ses faiblesses et d'éventuels autres entraîneurs. Une façon également de lui rappeler la place qu'avait l'humaine par rapport à lui.

Place à laquelle elle devrait s'habituer, si elle acceptait l'entraînement.