Le soir est un moment que nous attendons tous, soyons clairs. Nous, Vampires, sommes limités dans nos actions par cet astre solaire détestable ; quand bien même certains peuvent se risquer à se promener en plein jour, nous nous devons, avant tout, de rester à l'abri des rayons directs. Reclus, sans cesse. Contrairement à nous, les Loups peuvent vivre librement, mais en contrepartie, ils ont un obstacle de taille : leur simple apparence. Des Loups d'environ deux mètres de haut ne peuvent pas se permettre de se balader dans les rues d'une ville d'humains. Peut-être est-ce mieux ainsi, sans quoi des combats sanglants auraient sans doute lieu dans les ruelles. La terreur régnerait, et ce n'était pas là, mon vœu le plus cher. Qu'importe, le moment tant souhaité était enfin arrivé et je n'avais pas attendu bien longtemps avant de sortir des ruines. J'eus l'occasion d'entrapercevoir un morceau de soleil avant qu'il ne disparaisse à l'horizon. Une nouvelle fois, j'irais en ville ; pourtant je n'avais pas pour objectif de chasser, cette fois. Au fond, j'y allais sans réellement savoir où tout ceci pourrait bien me mener. Je n'avais pas envie d'agacer cette hybride louve qui m'occupait de temps à autre ; je ne voulais pas non plus rendre visite à Morgana dans son agence. Je n'avais pas envie d'observer le trafic de sang en pleine action, ni même la motivation pour aller trouver quelques uns des miens que j'avais perdu de vue depuis longtemps. Les revoir m'importait peu à dire vrai, mais après de longs siècles d'existence, il faut bien se contenter d'un rien pour ne pas tomber dans une lassitude meurtrière.

Pour cette visite en ville où finalement, je ne ferais qu'observer les humains évoluer entre eux, j'avais prévu une tenue relativement sobre, se mêlant plus ou moins à la mode actuelle. Ainsi je portais un bustier de couleur mauve, assez foncé, retenu à l'avant par des lanières de cuir noires ; et une jupe d'été fine s'arrêtant au-dessus de mes genoux, de couleur identique au bustier, bien que la doublure en tissu - dépassant de quelques centimètres par rapport au tissu supérieur, plus épais -, avait un ton un peu plus pastel. Puisque j'allais en ville, je portais des chaussures : de hauts escarpins élégants, bien évidemment, assortis à ma tenue, dont l'attache remontait sur ma cheville. Ma peau d'albâtre était ainsi clairement dévoilée mais qu'importe, quand bien même je serais entièrement couverte, mes cheveux blancs ne passaient pas non plus inaperçus ; ils étaient d'ailleurs laissés détachés pour l'occasion et je n'avais qu'un seul accessoire en plus d'une bague d'argent à mon majeur droit : un raz le cou en tissus également, imitant le design de la jupe que je portais. C'est donc avec cet habituel aspect irréel que je traversais les plaines. Un détail m'avait pourtant échappé en ce jour, mais il ne tarderait pas à me revenir en mémoire un peu plus tard dans la soirée. C'est presque innocemment que je rejoignais le territoire des humains, encore bien actif en cette fin de soirée. Les voitures, qu'ils affectionnaient tant, s'enchaînaient une à une ; des bruits de klaxons retentissaient et bien rares étaient les personnes qui restaient stoïques derrière leur volant. En effet, alors même que la nuit s'apprêtait à tomber, l'atmosphère n'était pas plus frais qu'en plein après-midi. Il y avait, par ailleurs, une différence de température notable entre les ruines et la ville.

Sans me préoccuper de toute cette animation, je tentais vainement de me mêler aux humains en marchant parmi eux. Même si nous avions la même morphologie : au-delà de la couleur de peau, il y avait des différences entre Vampires et Humains. Sans compter les capacités et les canines anormalement développées... Les humains avaient quelque chose de vulgaire que même les Loups - au moins lorsqu'ils étaient humains -, n'avaient pas. Nous avions sans doute un côté irréel, supérieur par rapport à eux. Certains d'entre eux avaient pourtant une beauté qui pourrait presque être enviée. Afin de mieux les observer, je m'arrêtai dans un restaurant, m'asseyant ainsi à la terrasse en observant d'abord les clients, puis les passants. Beaucoup d'animation la encore, et puisque j'étais Vampire, je pouvais percevoir toutes les brides de conversations dans un rayon relativement important. Tout ceci donnait un merveilleux brouhaha que je ne parvenais pas à atténuer en dépit de mes efforts. Me concentrer sur une conversation précise n'empêchait d'ailleurs pas cette cacophonie endiablée de perdurer en bruit de fond. Alors que j'avais mis de côté la bienséance pour poser mes coudes sur la table et me frotter délicatement les tempes du bout des doigts, un serveur vint m'apporter une carte, me proposant de boire ou de consommer. Libre à moi... Voyant toutefois mon air préoccupé, il préféra s'éclipser après m'avoir promis un retour proche. Je n'étais pas ici pour manger, ou même boire quelque chose, juste pour observer... Mais je suppose que c'était trop demander. Bien évidemment, ici, ils ne vendaient pas de sang.

Le serveur revint alors que je lui tendais machinalement la carte. Un faible murmure s'échappa de mes lèvres : je n'avais commandé qu'un de leur jus de fruits. Une sorte de cocktail qui avait au moins une belle gueule sur la photo présentée sur la carte. Le brouhaha s'était quelque peu atténué pour la simple et bonne raison que les humains mangeaient à cette heure-ci. Quelques uns d'entre eux fêtaient quelque chose de particulier pour venir au restaurant, parfois, ils s'y rendaient même en famille et c'est avec une indifférence certaine que j'observais de tels groupements d'individus rire et s'amuser, au moins en apparence. Oui, à voir cette mère et son fils à côté du père s'occupant du petit dernier, j'ai pensé un court instant à mes géniteurs qui s'étaient pitoyablement donnés la mort ; puis à mes frères qui avaient péri dans des circonstances tout aussi obscures et ridicules... Mais l'instant fut bien plus que bref, et en aucun cas les regrets ne m'ont assailli. Le serveur revint - toujours souriant -, et posa le cocktail sur la table en m'amenant, avec ceci, un petit bol de biscuits dont j'ignorais le nom. Je pouvais juste deviner, à l'odeur qu'ils dégageaient, qu'ils étaient bourrés de sels. Alors que j'appuyais mon dos contre le dossier, mon coude droit vint se poser sur la chaise et mon menton se posa dans la paume de ma main alors que, à tout hasard, mes yeux se reportaient sur le ciel. Zut. Pourquoi fallait-il que je choisisse un soir de pleine lune pour sortir en ville ? Les Loups y arrivaient en masse ces soirs-là, après tout, ils n'avaient pas souvent de telles occasions. Qu'importe...

Qui pourrait bien m'approcher, de toute façon ?

A la base, j'étais là pour observer les humains et changer un quotidien qui s'approchait au fil des jours d'une lassitude mortelle. Si j'avais su qu'au beau milieu de la soirée, je me contenterais d'observer un Loup que je ne connaissais que trop bien, je me serais de loin abstenue. La fuite n'était pas quelque chose que j'affectionnais - bien que ce soit systématiquement la conclusion apportée à mes absences de réactions -, cela dit, Azghar était pire que la fuite, alors... Quoiqu'il en soit, pour l'instant mon regard était posé dans le vide, se heurtant au vague un court instant. Le serveur avait troublé ma vision en passant devant moi afin d'accueillir un nouveau client qui semblait s'approcher, à en juger par la proximité des voix. Le client en question fit sa commande et le serveur tourna les talons sans ajouter quoi que ce soit si ce n'est, peut-être, un sourire. Je n'avais pas prêté grande attention à cette voix pourtant familière, une voix que je n'avais que trop entendu à une époque. Le bruit de la chaise face à moi, s'éloignant de la table en frottant le sol me sortit de ma rêverie. Mes yeux se posèrent alors sur son visage, un air de reproche emplissant mes pupilles. Pourtant la surprise remplaça bien vite cet air lorsque je vis Azghar s'assoir face à moi. Décidément : foutue pleine lune.

Il portait une chemise blanche qui lui donnait un air élégant, pourtant son visage n'avait pas changé. Bien que Loup et ennemi, j'avais au moins l'obligeance de reconnaître qu'il avait un certain charme. Son visage carré semblait sévère, encore plus fermé que par le passé, du temps où je l'avais plus ou moins trahi. Ses yeux, partiellement cachés par ses mèches grisâtres, étaient toujours aussi bleus, une couleur envoûtante et agréable. Autant dire qu'elle tranchait merveilleusement avec ce qu'il était lui-même. Il avait certes l'air détendu et agréable, puisqu'il en était même venu à sourire, cela dit certaines de ses attitudes laissaient transparaître la rage qu'il me vouait : ses poings anormalement serrés, par exemple. Quant à moi, j'avais dépassé le stade de la surprise, mon calme était revenu et c'était avec un sourire faussement joyeux que je l'accueillais à ma table. Notre rencontre après tant d'années de séparation ne serait sans doute pas un souvenir qui serait cher à mon cœur. Pour preuve, lorsqu'il commença à parler, j'ai tout de suite su qu'il n'avait rien oublié. Tout était inscrit en lui, encore. Mon absence de réaction, cette pseudo trahison, la haine qu'il me vouait et qu'il vouait à tous les miens. Je suis, semble-t-il, à la base de tous ses problèmes, y compris celui qui a poussé sa propre race à tuer sa femme, anciennement humaine.

La promenade des vieux, oui, s'il on veut. Nous ne devrions pas ressembler à grand chose à être ainsi assis à une table, bavardant comme si rien ne s'était jamais passé. Le pire, dans toute cette histoire, c'était la présence des humains autour de nous. Eux, ne se doutaient de rien, ils nous observaient comme ils en observaient d'autres... C'était sûrement grâce à eux si j'étais encore en un seul morceau : sans ça, il m'aurait déjà sauté à la gorge. Un soupir inaudible traversa mes lèvres alors que j'imaginais l'état dans lequel je serais après la possible bataille entre nous. Même si les années avaient passé, Azghar était toujours aussi illogique, et toujours aussi peu galant dans ses propos et son attitude. Il n'y avait bel et bien que sa tenue pour trahir une certaine élégance, le reste venait casser le mythe. Mais, c'est sans doute ce qui arrive lorsqu'on reste prostré dans une forêt loin de toute civilisation. Il a évolué, mais pas nécessairement en bien. La fin de ses mots amena un sourire à mes lèvres tant ils étaient dénués d'intérêt à mes yeux. Le serveur apporta la commande d'Azghar et nous gratifia d'un sourire en nous souhaitant de passer une excellente soirée. Heureusement, il ne s'est pas senti obligé de faire du zèle sur l'éventuelle relation qui pouvait nous lier.... Quoique, son sourire en disait beaucoup. Beaucoup trop. Mes doigts se portèrent négligemment sur le rebord du verre devant moi, plein d'un jus de fruits dont j'ignorais encore le goût. Mon index suivit alors le contour du verre, attendant de se couper par un heureux hasard - chose qui n'arriva pourtant pas -, alors que je l'observais en souriant.

" Bonsoir est, d'ordinaire, une excellente façon d'entrer en matière, mon cher. Mais je sais, tu n'as que faire de la politesse... Je suppose que nous pouvons nous permettre cette familiarité, depuis le temps... "

Nouveau sourire et mon corps se pencha en arrière pour s'appuyer à nouveau au dossier de la chaise. Mon avant-bras gauche se colla alors à mon ventre et mon coude droit vint s'appuyer dessus. Machinalement, ma main se glissa entre une mèche de cheveux et entreprit de l'entortiller autour de mes doigts. Une soirée de pleine lune qui venait m'amener Azghar, sans doute avait-elle attiré d'autres Loups susceptibles de vouloir ma mort. Mes yeux parcoururent une fois encore les environs. D'abord Azghar, pourquoi pas Sullivan, maintenant ? Quoique... Si le Loup faisait l'effort de se tenir, je n'étais pas certaine d'une réaction semblable pour le maître incontesté de la Coalition. Il en avait lacéré tellement et j'étais tellement haï de lui... Ma main s'immobilisa et mes lèvres s'étirèrent un peu plus, une façade agréable, même s'il devait bien se douter de mon état véritable. Je repris alors la parole d'une voix faible, douce et dénuée de toute agressivité ou d'une quelconque hostilité... Contrairement à lui.

" Mais Azghar, je ne t'ai pas forcé à venir me tenir compagnie dans ce restaurant, si je ne m'abuse... C'est toi qui est venu par tes propres moyens. Fuir n'était pas dans mes intentions... Si ma mémoire est bonne, la dernière fois que nous nous sommes vus, ce n'est pas moi qui ai fui devant une troupe d'humains et de vampires, la queue entre les pattes arrières. "

Ma main droite s'étendit à nouveau en avant et mes doigts se saisirent du verre face à moi. Mon corps se pencha lui aussi et mon verre vint tinter élégamment avec le sien alors que mon sourire ne pouvait se résoudre à disparaître. Ma voix se fit alors un peu plus sensuelle qu'avant peut-être, quant à mon regard, il reprenait étrangement l'allure qu'il avait eu le jour où je m'étais refusée à bouger pour secourir sa meute face aux humains et aux miens s'alliant. Des expressions qu'il ne connaissait que trop bien, au fond.

" ... A nos retrouvailles, mon cher et tendre Azghar. "

Jambes croisées sur le côté, j'observais les tables adjacentes à la notre. A ma gauche, une femme plus ou moins curieuse qui nous adressait des regards répétitifs, comme gênée par ce spectacle offert si gracieusement. Dommage que les hôtes de ce restaurant ne sachent pas la cruelle vérité qui se cachait derrière ces retrouvailles. Lorsqu'on en savait un peu plus, la situation était encore plus risible. Tout de suite après avoir porté ce fameux toast ironique, Azghar prit la parole. Sa voix était relativement calme à lui aussi, mais ses propos m'étonnèrent. Me faire la bise ? Il plaisantait, non ? Non. Ma nature vampirique me permit de ne pas blêmir davantage mais mon sourire victorieux peu avant s'effaça au profil d'une légère moue lorsque sa peau brûlante effleura la mienne. Deux antagonistes en train de s'embrasser joyeusement à une table de restaurant. Il y avait comme un côté burlesque à la scène. Il l'avait donc fait, il avait poussé ma provocation jusqu'au bout et avait osé frôler ma peau. Bien que mes lèvres restèrent désagréablement closes un instant, le sourire précédant revint au grand galop alors que mon dos chétif s'appuyait davantage contre le dossier de la chaise.

Azghar était fier de lui ; il irradiait dans tout le restaurant et cela me désespérait, même si j'en riais finalement. Il porta le verre à ses lèvres et reprit la parole, répondant à mon toast aussi dignement que ce que j'avais attendu de lui. Toutefois il me surprenait. Avec le passé que nous avions l'un et l'autre, avec la haine qu'il me vouait pour ma passivité continuelle, je ne le pensais pas capable d'être aussi calme et souriant face à moi. Tout n'était que pure ironie, mais il arrivait tout de même à jouer merveilleusement la comédie. Cela dit, nous avions l'un et l'autre des années d'expérience, alors peut-être n'y avait-il, au fond, pas de quoi s'extasier. La fin de la phrase d'Azghar m'arracha toutefois un plus large sourire alors que mon regard se posait sur une famille attendant patiemment à l'entrée du restaurant. La mère était à l'avant, moulée voire même boudinée dans une robe trop près du corps. Derrière, son mari semblait préoccupé par ce qu'il allait prendre en guise de repas et en contrebas, deux joyeux bambins courant dans les jupons de leur mère. La jeune fille s'amusait avec une poupée tout juste achetée se trouvant pourtant dans un état qui était déjà déplorable ; le jeune homme lui, était plus calme puisqu'il semblait mâchonner du réglisse, ou quelque chose de semblable. Son penchant pour les gourmandises se voyait déjà, par ailleurs ; sans doute tiendrait-il de la mère alors que le père était plus sec, un genre tout autre.

Ainsi obnubilée, et peut-être un semblant alarmée aussi, par la future place qu'allait occuper cette famille, je n'avais pas remarqué le regard d'Azghar posé sur moi, la façon qu'il avait de me détailler. Il reprit une nouvelle fois la parole après avoir bu quelques gorgées semble-t-il, mais mon regard ne se tourna pas vers lui. Le serveur arrivait déjà pour demander à ces messieurs dames ce qu'ils souhaitaient. Ce n'est que lorsqu'il désigna une table bien plus loin que je revenais véritablement à la réalité, soulagée. A cet instant seulement j'entrepris d'écouter Azghar qui poussait la provocation au-delà de mes espérances. Ses propos étirèrent toutefois mes lèvres plutôt que de m'énerver. Il avait admirablement bien tourné sa phrase pour un sauvageon perdu en pleine montagne. Cela dit, il ne disait là que la vérité ; du sommet des montagnes, le paysage devait être somptueux. Les couleurs chaudes de l'aube pointant à l'horizon et la difficulté passagère qu'a le Soleil à s'extirper du lointain paysage. Sa phrase et son ton plutôt doux me firent rire sans que je ne sois en mesure de m'en empêcher. Il avait entièrement raison ; jamais plus je ne serais en mesure de voir plus sublime spectacle. Qui sait, si un jour nous devons nous affronter lui et moi ; peut-être m'accordera-t-il la faveur de se battre au sommet des montagnes de telle sorte qu'à la toute fin, je puisse observer quelque chose de plus agréable que son visage ou ses babines sanguinolentes.

Son ton amical se poursuivit et il se mit à parler d'Adelicia, sujet qui s'avérait relativement sensible. Pourquoi personne ne pouvait comprendre - pas même Morgana -, que parfois, l'amusement ou peut-être la folie, me poussait à me retrouver en un si triste état, qu'importe l'adversaire face à moi ? Aussi faible soit cette hybride, sa hargne avait quelque chose de poignant. Elle, au moins, était capable de m'occuper toute une nuit, qu'importe ce qu'on pouvait bien penser après cela. Qu'importe qu'elle ne soit qu'Hybride et que je sois Originelle. Peu m'importe, mais les autres s'en mêlent. Et bien évidemment, il aurait été étonnant de voir que Azghar ne mette pas le sujet sur le tapis. Mes doigts se refermèrent peu à peu sur le verre devant moi et mes ongles finirent par en tapoter faiblement la surface. Nous avions une façon différente de concevoir la chose ; là où il voyait une perte du sens de l'honneur, des choses bien faites ; moi je voyais une simple "pause" dans une vie trop longue. Il n'était pas sans savoir que je ne faisais rien de ce qu'on attendait de moi. Là où il pensait que j'aurais tué son hybride, je me suis contentée de jouer... Et elle aussi par la même occasion. Alors certes, je pouvais concevoir le point de vue d'Azghar. Cela dit, ma fierté et mon honneur ne se portaient pas plus mal après ces combats. Ainsi ce bloc de parole ne m'amena finalement qu'un sourire aux lèvres.

Oubliant presque les humains qui vagabondaient autour de nous, je l'observais en silence. Là encore il était fier de lui, et cela se sentait de par sa posture, son attitude. Après s'être réinstallé, Azghar attarda étrangement son regard dans le mien puis il termina son verre avant de rappeler le serveur, commandant la même chose en ajoutant une énième phrase qui me fit sourire, encore et encore. Mes yeux se perdirent sur la table, longeant les plis de la nappe fine qui recouvrait un bois clair. Un léger soupir s'échappa de mes lèvres et finalement, mes yeux se posèrent à nouveau sur lui, venant s'arrêter à hauteur de son regard alors que mon éternel sourire était présent.

" Dès l'instant où tu es venu t'assoir à cette table, je ne comptais pas non plus payer le verre que j'avais déjà commandé. Galanterie oblige, Azghar. "

Mes yeux dévièrent encore et entreprirent de suivre le serveur qui s'agitait entre les allées. Voilà qu'il semblait débordé par l'afflux soudain de populace dans le restaurant. Il alla prendre la commande de la famille que j'avais observé plus tôt, puis retourna à l'intérieur du restaurant, disparaissant dans les cuisines. Il revint peu après avec nos commandes et d'autres mêlées. Les verres étaient gracieusement empilés et disposés sur un plateau qui restait droit en toute circonstance. Pour un humain, il était plutôt habile et avait bonne mémoire. Azghar et moi-même n'avions pas même eu à réitérer nos commandes qu'il les posait sur la table, puis il alla à une table voisine et recommença la gestuelle. Lentement, mes yeux revinrent se poser sur le nouveau verre qui déjà, se voyait étreint de mes doigts graciles. Le pied du verre quitta alors la table et son bord rejoignit mes lèvres avant de s'en éloigner à peine.

" Mais revenons-en à Adelicia... Force est de constater que cette gamine hybride, comme tu le dis si bien, m'a plus amoché en quelques jours, que ce que tu n'as jamais été capable de faire en plus de dix-neuf siècles. "

Un sourire plus franc étira mes lèvres et le verre s'y déposa à nouveau, s'inclinant finalement partiellement afin que le liquide rejoigne ma gorge. Quelques gorgées et je reposais le verre sur la table en y attardant mon regard améthyste. Songeuse, je repris la parole.

" Tu ne devrais pas te plaindre de mon comportement envers les Hybrides... Sinon cela ferait longtemps que ta fille ne serait plus, Azghar. "

Mon sourire s'était effacé un temps, me donnant un air sérieux à moins qu'il ne s'agisse là que d'un vaste jeu de rôle, à nouveau. Mes yeux se reposèrent sur lui et cette fois si, mon sourire revint, me donnant un air bien plus enthousiaste.

" D'ailleurs comment va cette chère Emma ? Voilà un moment que je ne l'ai pas croisé aux alentours des Ruines... A ce propos, les tiens savent qu'elle vient nous voir fréquemment pour nous observer ? "