_____Lumières dans les ténèbres. Agitation en pleine nuit. Même bien après que l'astre du jour ne se soit endormi, la ville était animée, embrassée par divers halos colorés. Lorsqu'on la voyait de loin, cette maîtresse du soir ressemblait à un reflet du ciel. Tout aussi étoilée que ce dernier. Puis, plus l'on se rapprochait, plus les lignes droites des bâtiments se dessinaient, laissant voir toutes les richesses dont elle avait possession. La moindre lumière se reflétait alors dans notre regard, y créant un doux ballet de scintillements. Des rues parfois longues, parfois plus courtes. Parfois larges, parfois étroites. Parfois fréquentées, parfois lugubres. Tout était diversifié, ici. Tout se mélangeait pour former la population nocturne de la ville. Que ce soit adolescents ou adultes. Riches ou pauvres.. Que ce soit Humains, Vampires ou Loups. Qui tels des noctambules déambulaient le long des chaussées. Tout semblait s'unir pour ne former qu'un. Simple illusion. Pour certains, cette nuit là serait différente de plusieurs autres. En effet, du haut de son tapis d'étoile, Dame Lune arborait fièrement sa beauté dans toute sa rondeur. Pleine lune. Moment où, dans les histoires effrayantes, toutes les bêtes sortent de l'ombre. Moment, dans le monde réel, où le Loup devient Humain. Du moins, de par la simple facette qu'est l'apparence. Puisque s'il est possible de mettre l'Âme dans cette cage qu'est l'enveloppe charnelle humaine, il est impossible d'enfermer l'Esprit Libre entre les mêmes barreaux. Il demeure là. Fier et droit. Insaisissable. Il y en avait certains, par contre, sur qui la lune n'avait aucune influence. Ces rebelles à la reine de la nuit se nommaient Hybrides et Lycans. Inspirant la fascination chez certains.. La répulsion chez d'autres. Comme toutes choses ? Peut-être. Mais, chez eux, cette controversion était encore plus contrastée.

_____L'ombre d'un sourire flotta quelques instants sur les lèvres de la silhouette avançant à pas lents mais réguliers à travers les rues de la ville. Démarche gracieuse, empreinte d'une fluidité captivante. Mouvements souples, presque reptiliens. Cheveux d'or flottant doucement derrière son dos, retombant en cascades sur son ventre pour certains. Un bruit. Un seul. Et un regard azur perçant valse directement jusqu'à un couple progressant ensemble, tous les deux, main dans la main. Avant de revenir, prestement, droit vers l'infini s'étendant là, juste devant. L'inconnue, d'un geste trop rapide pour être capté par le simple oeil d'un humain, s'engouffra dans une ruelle, entre deux bâtiments. Rapidité. Souffle de vent. Emma. La jeune femme laissa ses doigts glisser le long de l'un des murs de brique autour d'elle avant d'habilement les crocheter à une première fenêtre. Elle regarda autour d'elle. D'autres baies vitrées s'alignaient les unes au-dessus des autres, dans une répétition à la fois exaspérante et rassurante. Un bloc d'appartements, visiblement. Parfait. Vérifiant la solidité de sa prise, après s'être assurée qu'elle était bien seule, et loin de tous regards, un sourire fougueux aux lèvres, la demoiselle s'éleva doucement, s'aidant du large rebord de la fenêtre. Les logements entassés entre eux lui permettaient d'accéder au rebord suivant en se mettant de toute sa grandeur. Lentement, elle glissa son pied droit sur le rebord où ses mains étaient posées, avant de déposer ces dernières, l'une après l'autre sur le suivant. Ainsi de suite. Pendant de longues minutes, elle répéta les mêmes gestes, savourant chaque effluve de la nuit qui lui parvenait jusqu'au nez. Un Originel y serait probablement parvenu plus facilement qu'elle. Et pourtant, après de nombreux efforts, elle parvint au sommet. Un soupir entre l'extase et la satisfaction s'échappa d'entre ses lèvres et ses yeux allèrent embrasser la lune. Elle se laissa délicatement glisser sur le sol de marbre, s'y asseyant, sans quitter le ciel du regard, dansant avec les étoiles. Grande Ourse, Dragon, Pégase. Tout, là haut, ne semblait que poussière. Fines lignes intangibles reliant des points scintillants pour former un monde. Ce monde infini que les gens se plaisent à appeler univers. D'ailleurs, suivant une mentalité où tout est relatif, peut-on vraiment qualifier quelque chose d'infini ? Rien n'est éternel. Il n'y a que des longueurs, des durées, plus grandes que d'autres. Mais rien qui ne soit sans fin. C'est malgré tout en voyant l'univers s'étaler devant nos yeux, dans toute sa grandeur et sa puissance que l'on prends connaissance d'à quel point nous sommes infimes et faibles, au fond. Même le plus solide des guerriers ne peut rien face à la révolte d'un monde en plein changement.

_____Emma ferma les yeux, oubliant sa vue quelques instants pour centrer toute son attention sur les sons de la nuit. En bas, à quelques pas de l'immeuble, un groupe d'adolescents bavardait. Trop loin pour connaître le sujet de leur discussion, la louve pouvait cependant percevoir qu'elle semblait animée, pleine d'une certaine fureur. Sans le moindre doute, ils étaient Humains. Cette race qui avait un don impressionnant pour se mettre en colère face à n'importe quel évènement. Chacun sa façon de voir la vie. L'hybride, elle, gardait la plupart du temps son sang froid. Il n'y avait que les Vampires qui pouvaient facilement faire monter la rage en elle. En temps normal, il fallait un évènement hors du commun pour attiser sa colère. Plus loin, un bruit beaucoup plus léger était provoqué par les pas réguliers d'une personne progressant seule. Assez loin. Promenade solitaire en pleine nuit ? Improbable. Peut-être un rendez-vous qui débutait ou qui se terminait. Dans tous les cas, il n'était pas très prudent de ne pas être accompagné. Surtout en pleine nuit. Surtout avec ce qui rôdait dans nos contrées. Mais, malheureusement pour eux, certains n'étaient pas au courant des dangers qui les menaçaient. Et puis, qui se serait douté que certaines créatures des récits fantastiques prenaient réellement vie, sans en être une, ni sans en avoir vu ? Une fois l'innocence enfantine perdue, la plupart des gens ressentaient le besoin de toujours voir pour croire. Entendre ne leur suffisait pas. Il leur fallait constater, avoir des preuves. Cependant, quand le moment de ces preuves était venu, le témoin n'était parfois plus là à l'aurore pour relater ses découvertes. Et puis, qui l'aurait cru, lui ? Cercle vicieux, ronde inutile se répétant sans cesse et sans repos.

_____La louve descella les paupières et sonda les alentours du regard. Personne. Du moins, pas autour d'elle. En dessous d'elle, peut-être. Elle se releva et commença à avancer, prévoyant de faire le tour du toit sur lequel elle était montée. Du sommet, elle pouvait apercevoir le centre-ville, juste sur la rue d'à côté. Des bribes du brouhaha y régnant lui parvenait doucement jusqu'aux oreilles. D'ailleurs, en s'avançant vers le rebord, s'éloignant de la ruelle d'où elle avait escaladé le bloc, elle se retrouvait juste au-dessus de toute l'agitation urbaine, encore plus présente près de cet endroit où les magasins et les centres d'activités trônaient fièrement le long des rues. Si la jeune femme passait beaucoup de temps à se balader dans les endroits sauvages, comme le territoire des Loups, elle ne s'enventurait pas très souvent du côté de la ville. L'attitude des simples Humains à l'égart de celle-ci l'intriguait. Elle ne comprenait pas pourquoi ils étaient tant agités à l'idée de se balader dans une voiture polluante ou de dépenser de l'argent. Elle soupira. Puis, cessa tout mouvement. Une odeur familière flottait dans l'air frais de la nuit.

_____La vie régnait dans la ville. Pâle reflet, cependant, de celle dont regorgeait les terres éloignées. Ces terres où seul l'instant importait. Là où l'Homme devenait Animal, une fois le jour levé. Là-haut, dans le ciel, brillaient les étoiles, témoins muets de la nuit. Qui assistaient, sans sourciller aux bons et mauvais moment que chacun passait. En bonnes confidentes silencieuses pour qui la trahison n'était qu'un vague murmure intangible voguant au grès des vents. Plusieurs avaient l'habitude de se comparer à ces parcelles de lumière. À se dire avec un sourire amer que la vie serait plus simple s'ils n'étaient que météores, eux aussi. À ne pas saisir la chance du moment en se plaignant pour celle qu'ils n'avaient pas. Pour ensuite le regretter quand ils la perdaient. Et se plaindre à nouveau. Comme de nombreux détails, ce que l'on se plaisait à appeler bonheur n'était qu'une roue, divisée en plusieurs parties. Parfois imperceptible, d'autres fois nous prenant jusqu'au fond de notre être. Emma baissa le regard. En bas, des lumières couraient le long des rues. La plupart douces et ambrées. Certaines plus frappantes et de couleurs variées. Semblables à de délicats tracés d'encre de Chine, de vagues ombres les accompagnaient. Équilibre entre ténèbres et lumière. Quelques formes facilement reconnaissables pour des yeux de Loup, même hybride, mais qui auraient pu effrayer n'importe quel petit humain qui aurait oublié de s'accrocher fermement à la main de sa mère. Elle laissa à nouveau l'air frais de la nuitée s'engouffrer dans ses poumons, respirant chaque effluve qui voletait près d'elle, en plus de celle de l'origine de sa vie.

_____Bientôt, Emma put entendre les pas d'Azghar sur le bitume. Faibles. Presque inaudibles. Mais pas pour une Louve. Elle ne fit aucun geste lorsqu'ils ralentirent. Pas même pour donner un indice de sa présence. Il la connaissait bien, trop bien. Elle savait qu'il devinerait aisément où elle se trouvait. Il aurait été inutile de tenter de le surprendre. Aussi inutile que de tenter d'effleurer l'intangible. Elle resta donc là, immobile, un léger sourire flottant sur ses lèvres satinées, attendant que l'Originel vienne la rejoindre. Étrangement, l'endroit semblait se calmer. Contrastant violemment avec le centre-ville, qui pourtant se trouvait à quelques pas seulement de là. Comme s'il fallait un équilibre entre le silence et le brouhaha des foules. Reflet de l'équilibre du bien et du mal aux yeux de certains. Même s'il s'agissait, au fond, de deux notions qui n'existaient que relativement. Ce qui était immoral pour quelqu'un pouvait être banal pour une autre personne. Tout n'était que points de vue et circonstances. Sans même s'en rendre compte, l'hybride baissa sa garde instinctivement. Elle savait que lorsque son père était dans les parages, tout danger ne devenait que poussière. Et, de toute façon, en plein milieu d'une ville comme celle-ci, tout avait une odeur. Le vent semblait fuir cet endroit où la liberté était illusion. Il était impossible de masquer sa présence. Elle se retourna lorsqu'elle entendit un bruit facilement reconnaissable, derrière elle. Quelqu'un avait franchi la distance entre le bâtiment où elle se trouvait et un autre. D'un saut. Un seul. Et elle savait très bien de qui il s'agissait.

_____Lorsqu'Azghar s'approcha elle, la jeune femme dut se retenir pour ne pas courir à sa rencontre. Comme quand elle n'était qu'une enfant et qu'il revenait de l'une des missions que comprenait son rang. Le temps ne paraît pas moins long lorsque l'on peut vivre mille ans. Les années ont la même valeur. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus. Elle n'avait eu que des bribes de ce qui se passait en ce moment, mais elle en savait déjà beaucoup. Le monde était tumultueux.

▬ Bonsoir ma chérie, cela fait tellement de bien de te revoir, tellement de bien...

_____Elle le serra fortement dans ses bras en voyant les larmes perler à ses yeux. Comme si elle voulait qu'il prenne encore plus conscience de sa présence. Comme si elle voulait lui signifier qu'il n'aurait plus à s'inquiéter, qu'elle comptait rester en vie encore un bien long moment.

▬ Tu m'as manqué.

_____Sourire. Elle se libéra doucement de son étreinte avant de plonger son regard curieux dans le sien. Elle savait que tout le travail que demandait son rang ne lui avait laissé que très peu de temps pour faire le deuil de sa femme, malgré les années qui étaient passées. Elle savait aussi très bien que les Vampires se faisaient de plus en plus présents, pour les avoir espionnés plusieurs fois, ces derniers temps. Pour le moment les deux clans ennemis ne semblaient pas être de véritables menaces les uns pour les autres mais cela ne saurait tarder. Il fallait simplement leur laisser le temps de se côtoyer à nouveau. Et cela avait déjà commencé, créant des étincelles dès le début. Les tensions se faisaient rapidement sentir. Quelques accords faux dans le paisible murmure de la vie. Légèrement soucieuses, ses premières paroles trahirent sa soif de savoir, d'avoir une réponse à ses questions muettes.

▬ Tu vas bien ?

_____Un vent frais de la nuit se glissa entre eux, soufflant dans les cheveux de la Louve, les faisant légèrement bouger, les entraînant dans son rythme. La brise s'immisça entre les immeubles aux multiples lumières qui tentaient vainement de rivaliser avec les étoiles, frôla quelques passants. Puis, elle s'éloigna. Visiter d'autres contrées. Passant inaperçue pour la plupart de ceux qu'elle avait touchés. Elle reviendrait, cependant. Simple bruissement d'air. Ou puissante bourrasque. Comme elle le faisait toujours. Au loin, si l'on prenait le temps de regarder au-delà des hautes constructions humaines, quelques feuilles d'arbres s'agitaient doucement.

( Je.. Vais platement m'excuser .___. Autant pour le temps que la longueur ~ )