Parfois on se dit qu'on n'a pas le choix. Que c'est arrivé comme ça, un beau jour, sans qu'on s'y attende ; alors la seule solution est de faire profil bas et d'obéir. Oui, parfois... on n'a pas le courage de s'avouer lâche et on invente une excuse pour se défaire de sa culpabilité. On a toujours le choix. Moi qui n'ai jamais courbé la tête devant personne, c'est à quatre pattes que j'ai rampé devant ma douleur, me complaisant dans mon désespoir pendant des années. Ce n'est que maintenant que je réalise combien j'ai été stupide de me laisser abattre. Après tout, on tombe pour se relever, pas pour se traîner comme une lavette. Ai-je eu tort, cependant ? Je ne pense pas. Ainsi, j'ai appris de mes erreurs et ne les commettrai pas une nouvelle fois.

~ Le soleil était bas dans le ciel, caressant la ligne gracieuse des bâtiments de verre du centre-ville de ses rayons pourpres et orangés. La journée avait été belle pour la saison, et un peu de chaleur s'attardait entre les ombres du soir, longues et effilées. L'atmosphère était chargée de paix et d'indolence, chacun désirant profiter des dernières lueurs du jour avant la tombée de la nuit et le retour de la grisaille du lendemain. C'était l'une de ces rares fins d'après-midi où la ville d'ordinaire grouillante et pleine de vie était recouverte d'un voile de calme paresseux, et les terrasses de restaurants spécialement déployées pour l'occasion débordaient de gens qui prenaient tout simplement leur temps. Et, pour une fois, Leah ne faisait pas exception.

~ La jeune femme était assise à une table du restaurant, seule sur une banquette placée contre la baie vitrée. Elle était vêtue d'un simple pull à col roulé gris perle, d'un vieux jean délavé et d'une paire de converses, grises également. Son visage d'une extrême pâleur, à l'expression indéchiffrable, encadré d'une cascade de cheveux d'un noir profond et lisse, était tourné vers la vitre, baigné de la lumière sanguine du crépuscule. L'un de ses coudes était posé sur l'appui de fenêtre, sa main soutenant son menton, doigts repliés en poing sur sa bouche aux lèvres rosées. Ses grands yeux, du bleu profond de l'océan, s'attardaient au dehors, voguant de passant en passant comme s'ils leur inventaient une vie, une histoire, héros oubliés d'une aventure éphémère.

~ D'habitude, Leah sortait son carnet de dessin, et son pinceau dansait sur le papier, léger et aérien, laissant deviner ci un détail, là une silhouette qui semblait soudain s'animer et valser avec l'aquarelle. Mais aujourd'hui, elle n'avait pas touché à ses peintures. Dès son réveil, elle n'avait pas tenu en place ; elle avait besoin de bouger, de marcher, le plus loin et le plus longtemps possible. Et c'était ce qu'elle avait fait. Avalant des kilomètres de terre, de bitume et de pavé, la jeune femme n'était toujours pas rassasiée maintenant que le jour déclinait. Si les limites de son corps avaient été franchies, celles de son esprit étaient encore loin, loin devant. Et pourtant... elle n'avait cessé de penser, tournant et retournant peut-être pour la première fois le parcours de sa vie, pour en arriver à une conclusion ; elle s'était isolée trop longtemps. Cela lui coûtait de se l'avouer, mais pour une fois elle avait fait taire son ego et s'était résignée. Elle avait besoin de... compagnie.