______Azilyss avait sommeillé tout le jour au couvert d'une chapelle désolée, lassée du chemin qu'elle avait dû parcourir en vain. Les routes nocturnes ne fourmillant pas de vies humaines, elle s'était vue contrainte, un peu plus tôt, de pénétrer l'enceinte d'une ferme où le sang infecte du vieillard dont elle s'était abreuvée avait manqué de la rendre malade. Faible et affamée, elle avait renoncé toutefois à goûter celui de la femme, craignant une réelle indigestion. Ainsi, la colère de son ventre et la crainte dévorante du jour qui grandirait bientôt à l'horizon pour seuls camarades de route, elle avait pressé le pas afin d'atteindre un abri sûr. Le toit de tuile défoncé de la chapelle avait alors, par miracle, attiré son regard. Située à l'orée d'un bois austère, elle semblait n'avoir hébergé de fidèle depuis des lustres. Rassurée, Azilyss y était entrée. Un rayon de lune en perçait le toit et éclairait vaguement l'intérieur. Plus tard, il cèderait sa place à un éclat du soleil contre lequel la Vampire devait impérativement se munir. De quelques mouvements lestes et puissants, elle avait déplacé les bancs de bois vermoulu contre la pierre du mur latéral et s'était ainsi construite un abri à l'intérieur d'un autre. Apaisée dans un lieu qui en temps normal aurait réveillé en elle une haine inconcevable, elle s'était endormie alors que l'aube commençait à ramper sur les environs. Son sommeil, calme et sans rêve, avait calmé les brûlures de sa soif, accordant un répit aux ravages qu'elle causait à tout son être.
______Enfin, la nuit revenant, Azilyss se permit d'ouvrir les paupières à nouveau. D'un geste vif, elle renversa les bancs pour sortir de sa cachette, dans l'espoir que la rage de son acte assouvisse un peu de son absolu besoin de nourriture. Il n'en fit rien. Avec un grognement irrité, la jeune femme secoua sa cape froissée par le sommeil et frappa le sol de ses pieds, comme pour réactiver l'énergie de ses jambes. Visiblement, elle ne se comporterait pas cette nuit comme un exemple de bonne humeur. Un coup d'œil au dehors lui apprit que la Lune se levait à peine. Tant mieux. Elle aurait ainsi plus de temps pour trouver de quoi se nourrir. Soulagée par cette perspective, elle s'agenouilla au bord du ruisseau qui bordait la chapelle et fit jaillir l'eau sur son visage. Le froid de cette caresse vespérale acheva de l'éveiller.
______A présent, il fallait choisir. Retourner sur ses pas, à la recherche d'une autre ferme ? Se risquer à boire le sang d'un autre humain flétri ? Elle frissonna à cette idée. Plutôt déclarer forfait à sa faim que d'y goûter encore. Les Bois, quant à eux ,semblaient l'inviter à venir disparaître dans l'ombre de leurs longs bras décharnés. Les arbres, serrés entre eux à l'entrée, paraissait la condamner aux yeux craintifs des mortels, mais pour Azilyss, leurs corps enlacés lançaient d'irrésistibles propositions.
Te joindras-tu à notre danse ? Viens, viens, rejoins-nous. . . Sauras-tu suivre la cadence ? Viens, viens, suis-nous. . ., susurraient-ils.
"Curieux tentateurs", songea Azilyss.
______Haussant les épaules, elle se décida toutefois de répondre à leur appel. Avec un dernier regard vers son abri diurne, elle rejoignit les arbres et laissa leurs ombres engloutir sa silhouette déjà obscure. Créature de ténèbres dans un monde de ténèbres, elle prit la peine d'adapter son allure afin de ne pas épuiser ses ressources restantes. Tant qu'à mourir de faim, autant le faire le plus paisiblement possible. Plus elle s'enfonçait et plus les arbres s'espaçaient. Parsemés ça et là au hasard de la nature, ils alternaient entre sévère verticalité et courbes bizarres, chacun exposant avec fierté sa collection de branches farfelues. En fin de compte, le vide entre eux suffisait tout juste à l'essor de ces doigts de bois crochus. Azilyss s'en réjouissait. Il était fort improbable de trouver ici une foule de voyageur. Bien que son but premier fut de trouver un corps à dévorer, elle appréciait déambuler en solitaire dans cet endroit sinistre. Elle se débrouillerait bien pour obtenir de quoi satisfaire son appétit par la suite, au-delà de ces Bois. Sa bonne humeur en revenait presque. Pour esquiver les griffes des arbres, la Vampire se penchait et sautait en tout sens, habilement, avec la joie fière d'un jeune chat et l'habitude sereine d'un vieil animal. Sa cape, déjà déchirée par endroit, volait au travers de branches, jouant elle aussi le jeu de la prudence sans pour autant accorder d'importance à son tissu. Az traversait ce chemin de broussailles depuis un temps déjà lorsque les arbres se séparèrent brusquement de leur partenaire respectif. Le bal sylvestre marquait là une pause, sous la forme d'une clairière doucement éclairée. La jeune femme sourit, aucunement essoufflée par son effort physique. La faim cependant menaçait de reprendre ses assauts.
______C'est alors qu'elle la sentit. Les sens aux aguets, Azilyss sortit les crocs, et dévora les alentours de son regard corrosif. A quelques pas du centre de la clairière, presque joint à ses camarades, un vieux chêne dressait son tronc rompu de biais, dont la plaie lisse et blanche capturait les rayons de la lune. Assez gros pour masquer un corps debout ou étendu, il lui sembla être le gardien de ce qui émettait cette douce odeur. L'odeur de la chair. Azilyss approcha doucement, avec prudence, la soif éclatant ses pupilles et ravageant l'intérieur de sa gorge. Les effluves semblaient humaines, mais un doute persistait. La Vampire ne reconnaissait pas la saveur commune des mortels. Elle s'arrêta soudain, à un mètre environ du chêne brisé.
"De quoi peut-il bien s'agir ?", se demanda-t-elle, intriguée. "Humain, mais pas humain. Qu'est-ce que. . ."
______Dominée davantage à présent par la curiosité que par l'appétit, elle s'avança encore. Il ne lui restait plus qu'à contourner l'arbre estropié. . .