Entrevue Orageuse [Erika]

« Quoi qu’il arrive nous sommes bien peu de chose en ce monde. La grandeur du Ciel, la chaleur du Soleil, la lumière envoutante de la Lune, la beauté de la Forêt, le calme reposant de la Plaine, le rythme singulier de la Rivière qui serpente le long de l’imposante Montagne, l’immensité farouche de l’Océan…
Et au milieu de tant de Magie et de Félicité, se tient fièrement l’Homme et ses villes colossales. Ces imbéciles dont l’insouciance est légendaire. Pour qui rien d’autre ne compte que leurs désirs personnels, que leur ascension au niveau des entités qui les ont créés.
Mais bientôt, tout sera anéanti. La Nature reprendra ses droits pas la force, et ce jour là, les créatures terrestre ne connaîtront plus que Peur, Honte, Regret, Désespoir… et Mort. »
Prophéties de la Lune.

Il faisait nuit noire ce soir là. Le mince quartier lunaire était si bien dissimulé derrière une imposante masse de nuages orageux, qu’aucune lumière ne filtrait à travers la vaste étendue d’herbe. La Plaine était silencieuse, presque trop calme, si bien que le moindre bruissement dans les hautes herbes résonnait à des kilomètres alentours. Le grondement du tonnerre était encore lointain, et le ciel sombre se zébrait à intermittence régulière, de quelques rainures lumineuses. Cela conférait à ce fabuleux paysage une aura tendue et électrique… quasi-Mystique. Comme si les Dieux, du haut de leur Palais Céleste, déchaînaient leur colère et leur hargne sur la pauvre Terre endormie. L’orage approchait, lentement mais sûrement. Déjà, un vent sec apportait des effluves lointains aux narines entrouvertes du grand Loup Noir et Feu qui assistait à ce spectacle divin.

Thiago était assit sur son séant, immobile, juste en bordure du Lac. Son reflet imposant miroitait à travers les eaux sombres et calmes, telle une statue sans âge. Il gardait les paupières closes et les oreilles dressées en direction du vent qui lui amenait la cacophonie singulière de la ville, dont les lumières aveuglantes brillaient à une vingtaine de kilomètres en contrebas. Un long soupir s’échappa de la gueule entrouverte de l’Originel. Puis ses paupières colorées de feu, s’ouvrirent lentement, dévoilant des iris aussi argentés que la Lune. Il les dardait sur le Ciel qui déchaînait ses éléments, suivant du regard l’avancée progressive de l’orage. Il était temps d’y aller. La chasse n’attendait pas quand l’orage grondait. La phase qui précédait l’orage, c’était le temps idéal. Ni trop chaud, ni trop froid. D’autant plus que la pluie qui ne manquerait pas d’arriver, rafraichirait avec délice le sol brûlant après cette journée caniculaire. Les proies sortiraient de leurs cachettes pour profiter de l’air frais…
Le Loup se releva et pencha son imposante tête vers le Lac. Il lapa quelque gorgée d’eau fraîche en fermant les yeux, puis, se redressant, il s’étira de tout son long pour détendre ses muscles. Il jeta un dernier regard amusé à son reflet dans l’eau du Lac, et d’un bond agile, il fit demi-tour, tandis qu’un autre bond le propulsait dans un galop lent et gracieux en direction de la forêt.

La terre, asséchée par trois jours de chaleur intense, libérait des nuages de poussières au passage des grosses pattes de Thiago. Il pénétra sous le couvert protecteur de la Forêt qu’il connaissait par cœur. Il n’y avait pas un endroit qu’il n’ait foulé, pas un bosquet sur lequel il n’ait chassé, pas un arbre qu’il n’ait déjà frôlé dans ses courses haletantes. Elle était sa maison et son terrain de jeu, un terrain sur lequel jamais il ne s’ennuyait. En pleine course, il s’immobilisa et tendit l’oreille. Ses yeux se fermèrent à nouveau et il huma l’air. Lorsqu’il les rouvrit, son regard d’argent tourna sensiblement vers la gauche. Il y avait du gibier vers l’ouest. Un cerf, d’après l’odeur. Le vent jouait agréablement en faveur de Thiago, car il dissimulait son odeur à l’animal, en soufflant dans sa propre direction. Voila donc la cible parfaite. Il parcourut quelques mètres au petit trop, slalomant avec grâce autour des arbres qui barraient sa route. Puis il continua sa progression à pas de loup, profitant du couvert des buissons épais qui encadrait le petit fourré dans lequel paissait tranquillement la proie. Thiago se baissa un peu, pour pouvoir observer ce gibier majestueux. En tant normal, n’importe qui aurait trouvé cet animal imposant. Mais dans le cas présent… c’était Thiago l’animal imposant. Il était bien plus grand que lui, du haut de ses deux mètres, et sans la présence des buissons épais, il aurait été difficile de s’approcher autant sans être repéré.

Soudain, l’animal leva sa superbe tête et la tourna dans la direction opposée au grand Loup tapit dans l’ombre. Thiago fronça les sourcils. Visiblement, le cerf avait perçut un bruit ou une odeur. Il fallait agir vite avant qu’il détale. Il banda ses muscles prêts à bondir. La proie était elle aussi prête à fuir, le regard noir, étrangement apeuré. En poussant un grognement sourd, Thiago fit un bond de plusieurs mètres, de sorte qu’il atterrissait juste à porté de griffes du cerf. D’un coup brutal de la patte antérieure, il projeta la pauvre bête au sol, tel un pantin désarticulé et ahurit par l’énorme monstre infernal qui venait de surgir des ténèbres. Le Loup ne laissa pas à sa victime le temps de se relever. Il se jeta sur elle et planta ses énormes crocs dans sa gorge appétissante. Elle en fut tuée sur le coup, se laissant manipuler avec violence, le regard vidé de son énergie vitale, les membres mous et ballotant. Tandis que le chasseur malmenait son repas à grand coup de dents et de griffes répétitifs, se repaissant de sa chair encore délicieusement chaude, un petit craquement sourd résonna dans les fourrés alentours. Thiago était cependant trop occupé à manger pour s’en soucier…
Tout proche, l'Orage avançait en grondant, illuminant faiblement le fourré lorsque les éclairs zébraient le ciel.

La vue des éclairs réveilla Erika, ils émettaient des lueurs violentes et persistantes. Sous les traits d'une louve, elle sortit de sa tanière en grognant en laissant derrière elle Sven. A présent qu'il était plus âgé, elle pouvait s'absenter un peu plus sans craindre pour lui. Bien qu'il soit un peu trop timoré à des moments, il avait de la ressource ce petit. Les éclairs se faisaient de plus en plus présents, de plus en plus proches... Ses deux yeux vairons balayaient la forêt qui l'entourait; chaque odeur faisait office de repère. Néanmoins l'orage offrait une pesanteur telle que les odeurs étaient plus tenaces, plus présentes comme si toute la nature se réveillait en cet instant. La nuit n'offrait plus son délicat berceau, c'était pour le moment un affrontement silencieux entre le ciel et la terre. Bientôt le tonnerre, cet officieux diplomate, balaierait tout compromis de fracas assourdissants. Erika n'aimait pas l'orage, elle évoluait par petits pas pressés entre les arbres. Cette partie de la forêt était moins escarpée que les autres et offrait un terrain de chasse plus propice. En cet instant, elle avait une envie de meurtre comme jamais... On était encore venu l'asticoter qu'il était de voir son fils si peu souvent et si dépendant d'elle...

** Franchement de quoi je me mêle...**

Comme pour exaucer une prère intérieure, une boule de poil blanche bondit devant elle. Elle ne réfléchit pas, lui sauta dessus et le déchiqueta jusqu'à réduire en charpie le lapin qui avait eu la mauvaise idée de passer devant elle. On leur avait donc pas appris à ne jamais vouloir tenter une telle approche. A présent que le sang coulait de ses babines, son estomac lui signala qu'il ne pouvait être repu. Ses naseaux se dilatèrent pour tenter d'identifier une odeur bien que cette fois le tonnerre se rapprochait. La venue de ce son n'était pas une mauvaise chose; il distrayait le gibier mais cela lui donnait des comportements imprévisibles... Une fois, elle avait recherché un porc épic pour pouvoir récupérer sa chair qui était excellente pour soigner une maladie qu'avait attrapé Sven. Ce n'était pas grand chose... mais vu les moyens sommaires, Erika préférait prévenir le mal avant qu'il n'arrive et ne lui explose à la figure... L'animal avait sursauté.. La louve avait failli avoir l'oeil crevé... Ce soir là, elle apprit que mieux valait éviter de sous estimer son adversaire si petit soit il. Elle était d'une humeur de chien... Elle huma l'air.. Une odeur forte devançait toutes les autres. Elle sauta par dessus une racine, suivi un tapis de mousse pour apercevoir en contrebas un loup se gavant d'un cerf.

Les éclairs rendaient comptent de son pelage singulier où se mêlait la couleur impétueuse des flammes et celle plus discrète un noir corbeau. Il était d'une forte jolie taille. Erika grinça des dents, elle était plutôt mécontente de croiser quelqu'un. De toute façon à vrai dire, à part son fils et certains vampires, elle n'était pas réputée pour être très sociale...loin de là. Elle considéra un arbre juste sur sa droite, il n'était pas en très bon état mais il allait suffire. Ou, ce serait bien suffisant. Il avait l'air bien trop occupé à se nourrir pour lui prêter de l'attention. Elle allait lui en donner de l'action. Tous ces loups prétentieux... Ils ne pensaient qu'à leur liberté hé bien elle imposerait sa loi d'être infecte envers tout le monde. Mais alors qu'elle cognait contre un tronc d'arbre, un serpent lui tomba sur le dos. L'animal secoué par cette descente s'entortilla autour de ce qui semblait être une branche mais qui ne l'était pas : son cou. Quand il vit qu'il s'agissait d'une créature, il serra ses anneaux brusquement.... La respiration d'Erika devint plus épisodique, elle était marqué par des brusques arrivée d'air suivi par des absences. Par réflexe de survie, Erika se roula sur l'herbe pour écraser l'intrus. Elle donna plusieurs coups dans la souche qu'elle avait repérée. Les racines se soulevèrent de la roche où elle avaient réussi tant bien que mal à s'insérer. Le tronc dévala la petite pente en direction du loup mangeant son repas en contrebas... Erika était bien trop occupée pour se réjouir de sa blague, le reptile serrait davantage son étreinte.

Avec la lune son sentiment de rage se décuplait, elle voulait le mordre, le déchirer de toute part, en faire de la peau tannée. L'opiniâtre serpent ne bougeait pas. Il la narguait, elle en était sûre... Comme il se situait tout autour de sa gorge, il était difficile de l'atteindre. Elle courut tout en gardant la tête contre le sol pour râper sa peau froide contre la pierre. Jamais encore elle n'avait vu animal plus têtu à croire qu'il l'aimait l'abruti. Alors qu'elle se roulait contre la pierre à présent mise à nue, le serpent se décida à une attaque plus offensive. Il sortit sa tête... Ce fut son tort. Les canines de la louve se refermèrent sur lui et le balancèrent au loin. Elle resta allongée un petit moment et comptait descendre à la rencontre de ce chasseur finalement. Après tout elle avait réussi son coup, la souche l'avait perturbé au moins bon même si ce serpent ajoutait à sa blague un côté plus risqué...

Prince de la Forêt. Certains contes et légendes que Thiago avait lu, qualifiaient ainsi le noble cerf qu’il était en train d’engloutir. Il fallait avouer qu’il avait la grâce, la prestance, et la légèreté d’un Prince. Thiago accordait donc volontiers ce titre à l’animal, si tant est que les Loups gardaient leur place de rois. Alors même qu’il commençait à éventrer le cerf pour se repaitre plus en profondeur des chairs sanguinolentes de l’animal, il réentendit un léger bruissement craquer dans les ténèbres de la Forêt. Bruissement qu’il avait déjà perçut quelques minutes avant, mais qu’il avait préférer ignorer pour mieux se concentrer sur son repas. Pourtant, à présent que le craquement se réitérait, et que son estomac était un peu plus satisfait, Thiago accorda une attention toute nouvelle à cette information. Il se lécha silencieusement les babines encore ensanglantées, et releva lentement son imposante tête. Son regard argenté se promenait furtivement alentours, scrutant avec une précision digne d’un grand chasseur, l’obscurité inquiétante de la forêt.

Un éclair zébra le ciel, et le grand Loup put entrapercevoir derrière une rangée de conifère au dessus d’une pente abrupte, une masse blanche qui se mouvait nerveusement. Bien que sa vision nocturne soit parfaite, il plissa les paupières, comme si il voulait mieux voir, et surtout mieux comprendre ce qui se passait par là-bas. Il eut à peine le temps de distinguer la silhouette d’un lycan blanc, qu’une masse informe tombait en dégringolant le long de la pente. Ce n’était qu’une vieille souche, certes, mais plus elle roulait, et plus elle prenait de la vitesse et de l’élan… Thiago se redressa complètement, analysant la situation avec un calme étonnant. Seules ses pupilles semblaient étrangement actives, témoignant de la réflexion intense de leur possesseur. Finalement, le Loup se mit à grogner, serrant les mâchoires, se préparant en baissant légèrement son arrière-train, redressant son buste puissant. La souche ballottante, à peine freinée dans sa course par quelques arbres, arriva enfin sur Thiago. Il fit un seul et unique aboiement, mais ce fut comme si il eut résonné dans la Forêt entière. Puis, il leva sa grosse patte musclé, et assena un coup puissant à la souche qui se dressait devant lui, l’envoyant valser sur le coté dans une pluie de copeaux et de petits bouts de bois brisés. La souche était éventrée…

Thiago accorda un regard hautain au cadavre de cet arbre, et bien vite, son attention se détourna à nouveau sur la silhouette du lycan. Il fit quelque pas vers lui, se mouvant avec une sensualité féline. Il gardait le silence, même lorsque ses pattes se posaient sur le tapis de feuille, il ne produisait aucun son. A croire qu’il faisait corps avec la Terre. En revanche, le lycan lui, faisait un boucan pas possible. Il se débattait, se roulant au sol avec frénésie. Thiago s’arrêta, entrouvrant les narines pour humer l’odeur de ce loup au comportement étrange. Ses paupières s’écarquillèrent sensiblement, dans un mouvement furtif. Ce lycan était en fait une lycanne. Les femelles dégageaient une odeur bien différente des mâles, particularité que l’on retrouvait chez bien d’autres espèces. Leur parfum était plus entêtants, plus sensuels, chargé d’une électricité qui avait le don de faire réagir leurs congénères de sexe masculin. Le grand Loup Originel s’arrêta et s’assit sur son séant, observant la scène avec curiosité.

Soudain, la lycanne sauta en courant vers lui, il l’avait parfaitement dans son champ de vision. Il comprit alors quelle mouche piquait cette femelle. Un serpent d’une taille tout de même conséquente était dangereusement enroulé autour de son cou. Un léger rictus le fit retrousser les babines pendant qu’il observait la lycanne se débattre comme une diablesse contre le reptile tenace. Une question se posait dans l’esprit du grand Loup. Avait-elle fait exprès de lui faire rouler cette souche en pleine figure, ou était-ce un accident ? Thiago penchait plutôt pour la première option. Car comme le dit l’adage, qui sème le vent récolte la tempête. La Nature agissait selon cette loi. Il se pourrait bien que le serpent soit une sorte de punition à l’attention de cette femelle trop malicieuse. De ce fait, l’Originel ne bougea pas d’une griffe, se contentant de profiter du spectacle, sous cette fabuleuse lumière orageuse. Une louve se roulant ainsi et se frottant contre la roche avait quelque chose d’amusant, il fallait bien le reconnaître.

Le reptile se décida enfin à attaquer, présentant ainsi sa petite tête fine aux mouvements furtifs. Il n’en fallut pas plus pour la louve. Avec brio, elle attrapa le serpent dans sa gueule et l’action de ses crocs aiguisés sur sa peau écailleuse le fit lâcher prise. Il roula dans la terre, mort sur le coup. Thiago n’avait toujours pas bouger, il se tenait à une dizaine de mètre de la femelle. Pourtant, il la dominait de toute sa taille et de sa largeur. Ses iris d’argent transpercèrent le surprenant regard vairon de la louve. Voila qu’elle s’approchait de lui maintenant. Le faciès inexpressif du grand loup montrait qu’il n’était pas friand des lycans. Pourtant son regard détaillait avec précision le corps fin et gracieux de cette femelle au pelage d’albâtre. Il ne dit rien, sa gueule ne frémit même pas, et pourtant sa voix grave résonnait dans la tête de la lycanne.

*En quel honneur, la souche ?*

Son ton avait été monocorde, mais on pouvait lire une teinte d’ironie dans son regard. Un autre grondement de tonnerre succéda à l’éclair, et soudain, la pluie tomba.

La lycanne se redressa sur ses deux pattes arrières pour pouvoir mieux répondre à cet individu face à elle. Elle se massait encore douloureusement le cou. La bête au sang froid n'y était tout de même pas allée de main morte. Là encore elle ressentait sa présence comme un étau qui l'emprisonnait... Après que l'individu lui ait adressé la parole, un grondement déchira le silence enfin suivi par ses deux compères étincelants. Erika se redressa de toute sa hauteur pour affronter le regard de son interlocuteur :

- Dans tout repas, il faut un plat de résistance, non ? répondit elle sèchement.

Elle s'autorisait avec défiance à affirmer son acte. De toute façon, le petit malin vu sa question l'avait parfaitement deviné. Erika avait remarqué la manière qu'il l'avait regardé. Cela signifiait "tu l'as bien cherché". Quand les faits se présentent à vous, les nier revient presque à avaler de l'air. C'était fatiguant et tout bonnement inutile. Alors autant foncer sans se préoccuper du reste. Oui, elle avait voulu lui jouer une blague, c'était à lui d'avoir de l'humour. Enfin pour sourire encore fallait il que l'interlocuteur soit un peu souriant... Erika ne souriait que très peu voire jamais pour ainsi dire, sans arrêt grognon peu l'avaient déjà vu ce sourire qu'elle gardait jalousement pour elle. Le temps ne s'y appropriait pas tellement lui non plus. C'était un combat perpétuel entre le son et les lumières. La tension déjà présente dans le ciel masquait un peu toute bonne humeur si toutefois cette bonne humeur entre ces deux personnes avait été possible.

L'air croulait sous une odeur humide, lourde apportait par une pluie déjà bien torrentielle. Les poils d'Erika se collaient à sa peau sous un masque épais et broussailleux. Elle ne cessait de l'observer, lui et son cerf gisant en contrebas.C'était tout de même une belle prise. En dépit de tout ce qu'elle pouvait penser, il avait franchement l'air appétissant. A cette idée son regard se glissa à nouveau vers la personne qui lui faisait face. Lui aussi avait un petit côté séduisant sous un autre angle on allait dire.

"Il est des personnages que la pluie n'enlaidit pas... "murmura t-elle plus pour elle même que pour que ses paroles soient entendues.

Oui parce que bon d'accord elle n'appréciait pas tellement les gens de son espèce s'approchant de près ou de loin à une boule de poils ambulante. Mais bon elle ne crachait pas sur la beauté telle qu'elle soit, il fallait le reconnaître il avait du style. C'était exactement ce qui la mit un peu hors d'elle même. Il ne fallait pas chercher c'était la logique d'Erika...

- Vous ne finissez plus votre prise...

C'était une remarque dite avec l'habituel ton cassant de la lycanne qui ne pouvait aligner un mot sans qu'on y décèle un caractère rebelle. Au moins sa petite taille lorsqu'elle était humaine ne l'empêchait pas de mordre tout ceux qu'elle croisait. Elle était d'humeur égale avec tout le monde en ce sens et ceux qui ne s'adaptaient pas elle les affrontait. Logique inébranlable et inaliénable d'Erika.

« Dressez-vous sans relâche, jusqu’à ce que les Agneaux deviennent des Loups … »

Prophéties de la Lune

La jeune lycanne s’était dressée sur ses postérieurs, posture plutôt étrange que seul les lycans pouvaient se permettre. Pour les loups, cette position restait une erreur de la nature. Un loup devait se déplacer sur ses quatre pattes, et pas gambader ainsi sur ses postérieurs comme un vulgaire humain. Peut-être s’imaginait-elle que debout, elle paraîtrait plus imposante face à ce grand Loup Originel. Indéniablement, cette lycanne était une créature emprunte de fierté. Le Loup n’était pas certain que cela soit une qualité pour une femelle. Pour autant… cette femelle avait une sensualité plus affirmée lorsqu’elle était ainsi positionnée. Chacun de ses muscles fuselés était révélé, la pluie à présent torrentielle aidant fortement à cet effet. Thiago était bien forcé d’avouer qu’elle était pas mal pour une lycanne, et sous sa forme humaine, elle devait sans doute être un beau brin de femme. En d’autres termes… une jolie friandise. Quoi que ce caractère visiblement affirmé et un peu trop sûre d’elle lui laissait un goût amère. Du moins Thiago n’était-il pas certain que cela lui plaise à la longue. Pour bien lui faire comprendre qu’il n’était nullement impressionné, il ne bougea pas d’un poil, se contentant de fixer son interlocutrice sans ciller. Elle aussi restait immobile, ses yeux vairons semblant défier ceux, argentés, de l’Originel.

"Dans tout repas, il faut un plat de résistance, non ?"

Au moins avait-elle le tact de ne pas nier les faits… Cependant, elle avait dit cette phrase avec tant de sécheresse dans la voix, que Thiago avait eu l’impression qu’elle lui avait craché au visage. Si c’était-là sa façon naturelle de s’exprimer, elle n’avait rien d’attrayante… Il tiqua légèrement, puis reprit son expression habituelle d’indifférence la plus totale. Pourtant il se retint de sourire ouvertement, amusé par cette jeune effrontée. En un sens, elle était intéressante. Thiago connaissait quelques louves Originelles qui avaient cette assurance, cette façon de toujours vouloir se faire respecter par tous les moyens, quand bien-même c’était inutile car elles se devaient d’être respectées, de par leur statut. Mais pour les lycannes, et les lycans en général d’ailleurs… c’était différent. Loin d’être respectées, elles se devaient sans doute de faire preuve d’une certaine autorité, et d’une certaine hargne. Certes, c’était courageux de leur part. Courageux mais aussi totalement inconscient… La lycanne faisait preuve d’un aplomb à toute épreuve, fixant Thiago sans aucune expression sur sa frimousse grisé. Une telle altercation aurait put encore durer longtemps, sans qu’aucun des deux participants ne face un infime mouvement. Mais la voix murmurante de la louve traversa le vacarme assourdissant des gouttes de pluie s’écrasant au sol, et s’engouffra dans les oreilles dressées du grand Loup.

"Il est des personnages que la pluie n'enlaidit pas... "

Ses oreilles s’aplatirent vers l’arrière alors que ses paupières se plissèrent légèrement. Etait-il vraiment certain d’avoir entendu cette phrase ? Sans doute… car la jeune lycanne avait l’air un tant soit peu énervé d’avoir laissé s’échapper ces quelques mots. Cette fois, Thiago ne put s’empêcher de retrousser sensiblement ses babines en un rictus des plus amusé. Il garda le silence pourtant, préférant ne pas en rajouter à l’embarras ou à la colère de la femelle. Avec ce genre de créature imprévisible, mieux valait la jouer avec calme et assurance. Il se releva et lui fit face dans toute son imposante hauteur. La pluie, telle un millier de petites flèches envoyées par les cieux, plaquait son poil luisant et sombre sur sa peau, dévoilant sa musculature sculpturale aux yeux de la louve qui paraissait aux aboies.

"Vous ne finissez plus votre prise..."

Simple constatation ou question en vue d’une demande future à s’inviter à dîner ? Elle avait employé un tel ton cassant pour sortir cette phrase que Thiago n’aurait sut dire quelle hypothèse était la bonne. Au moins avait-il maintenant la certitude qu’elle utilisait toujours cette façon de s’exprimer. Dure, sèche, cassante…
Comme si l’évidence s’imposait ici, un nouvel éclair zébra le ciel et illumina les pupilles argentées de Thiago, jusqu’à ce que le tonnerre gronde encore. Puis le silence, rythmé uniquement par les clapotis régulier de l’eau sur les feuillages. Le loup fit un pas sur le côté, lentement, sensuellement, suivit très vite par un second. Il ne quittait pas des yeux la femelle, un air amusé et pourtant mystérieux ancré sur son faciès. Il la contourna sur quelques mètres, sans montrer aucun signe d’agressivité, la détaillant de haut en bas en silence. Il n’avait jamais vu cette lycanne du côté de la meute. Bien-sûr, il n’y traînait pas souvent, préférant le calme et la solitude de la forêt, mais il se serait tout de même souvenu d’elle s’il l’avait croisé quelque part. A moins qu’elle soit du genre à toujours garder sa forme humaine, auquel cas il ne l’aurait pas reconnu.

Il fit une halte alors qu’il était sur le côté droit de la femelle, respectant toujours une distance raisonnable entre eux. D’un simple mouvement de tête, et sans se déroger à son regard vairon, il lui désigna le cerf qui gisait à peine quelques mètres en contrebas. Un autre rictus vint succéder à celui qui avait pratiquement disparu un peu plus tôt, et encore une fois, il fit résonner sa voix grave mêlé de sensualité dans l’esprit de la lycanne.

*Tu peux te servir, si tu as faim…*

Son rictus s’élargit en un sourire qui était sans doute inconsciemment charmeur, et il continua.

*…Mais j’aimerais connaître ton nom avant.*

Il ne savait pas pourquoi, mais il ressentait le désir de connaître un peu plus cette jeune femelle qui avait l’audace de se dresser devant plus fort qu’elle. Peut-être était-ce l’orage qui produisait cette effet sur lui, ou tout simplement la pluie qui accentuait encore plus l’odeur entêtante de la lycanne, telle une douce torture pour les sens exacerbés de l’Originel…

L'individu qui lui faisait face ...elle avait l'impression qu'il la narguait. Elle aurait voulu grogner, montrer qu'elle en avait dans le ventre et que s'il n'était là que pour la regarder mais il pouvait passer son chemin. Son corps semblait obéir aux courbes légères du bois comme si la nature lui avait donné ces atours. Erika ne s'en laissa pas distraire ou presque. Elle espérait juste que ce murmure qui s'était échappé n'avait pas été entendu... Elle avait froncé légèrement les sourcils quand elle vit les oreilles de ce loup se coucher. Il avait entendu ! Il avait dû entendre ! Et tout ce silence se moquait-il d'elle ? Elle ne bougea pas d'un pouce tandis que lui, il se déplaça vers sa droite. Le regard d'Erika ne se détacha pas de lui. Malgré tout, il ne lui fonçait pas dessus. Elle plia ses pattes postérieures puis reposa ses antérieures au sol tout en gardant son attitude vigilante. Elle se préparait à toute éventualité. Elle avait déjà été trahie, elle savait surtout que justement c'était souvent quand on relâchait un tant soit peu son attention que l'on se retrouvait avec une mâchoire inconnue vous brisant la nuque.

Sa voix grave n'était pas dénué de charme, il la travaillait comme un musicien travaillait son archer avec autant de précision et de méticolisté qu'un funambule sur son fil. Erika avait l'étrange impression qu'il pouvait la manipuler avec cette voix, elle fut en rage contre.. elle-même.

*Tu peux te servir, si tu as faim…*

Alors qu'elle allait lui obéir, il lui demanda son nom...

- Erika...Mon nom est Erika, lui dit elle simplement sans se départir d'une certaine méfiance.

Prudemment, elle le contourna, grogna puis lui demanda en retour son identité. Ses yeux l'observaient sans se départir de leur cible. La louve était sur ses gardes, au moindre faux pas elle tenterait tout pour sauver sa peau quelles que soient ses chances de réussite. Mais elle sentait qu'il la charmait, c'était ce qui la mettait mal à l'aise. D'ordinaire lorsqu'elle se comportait ainsi, on se reculait, on ne cherchait pas à lui offrir un repas... Alors elle s'isola un instant tout en renâclant son espèce de mauvaise humeur jusqu'à un rocher, d'où elle en sortit sous sa forme humaine. Ses yeux étaient toujours autant fixés sur ce loup, mais elle voulait lui montrer au moins qu'elle faisait un effort. Et dans un ultime sacrifice, elle lui...tendit la main:

- Alors tu m'accompagnes en bas ou tu t'en vas ? fit elle sèchement.

C'était toujours Erika, elle ne pouvait jamais être très tendre, il fallait toujours qu'elle outrepasse de nombreuses règles. Dans le fond, c'était dans sa nature même, elle ne pouvait s'empêcher d'être cinglante et de vouloir mordre. Alors même une attention se transformait en remarque sèche. Il fallait voir au delà de ce qu'elle offrait. Là elle était plus vulnérable..chez elle c'était plus qu'un geste anodin, cela signifiait de nombreuses choses...

Fais tomber le masque, devant moi
Laisse tomber la louve pour une fois,
Fais fondre la glace, devant moi
Laisse pleurer la louve une autre fois…

Prophéties de la Lune

Erika… Non décidément son nom ne lui disait rien du tout. De toutes les façons, Thiago n’était pas un grand amateur des Lycans, et encore moins de la meute, alors de là à s’intéresser de près à eux… il y avait un gouffre immense qui les séparait. Pour autant, cette femelle là l’intriguait plus qu’elle ne le devrait. C’était d’ailleurs pour cela qu’il ne l’avait pas encore ignoré tout simplement, ou qu’il ne l’avait pas fait partir en usant de son regard intimidant. Erika semblait méfiante, tout comme la plupart des créatures qu’il rencontrait. Son calme dangereux et sa stature imposante en faisant un être étrange et imprévisible, il était bien normal qu’on se méfie. Il sentait qu’au moindre de ses mouvements, elle bougerait également. Que s’il faisait un pas vers elle, elle ferait un pas en arrière et que s’il reculait elle avancerait. Tels deux points sur deux droites parallèles qui jamais ne se touchent. Alors il se décida à rester immobile, pour ne pas briser le fragile équilibre qui les retenait l’un l’autre dans la clairière.

Ce fut elle qui, la première, tenta de stopper le jeu qui commençait à devenir ennuyant. Elle se détourna et alla se cacher derrière un rocher. L’espace d’un instant, Thiago ne comprit pas son comportement. Un mélange de rage contenue et de malaise naissant, émanait de ses mouvements lents et agacés. Le Grand Loup la suivait du regard, imperturbable, quoi qu’intrigué. Que ne fut pas sa surprise, lorsqu’il vit sortir ce petit bout de femme de l’autre côté du rocher. Elle s’avançait vers lui, dans son plus simple appareil. L’Originel ne se gêna pas pour promener son regard argenté sur cette femme enfant. Ses longues mèches châtaines dansaient légèrement sous l’effet des bourrasques, mais bien vite, la pluie battante la colla sensuellement sur ses épaules et sur son corps fin. La couleur étonnante de ses yeux perdurait sous sa forme humaine, si bien qu’il ne la rendait que plus attrayante. Une petite marque se distinguait sur son front, entremêlée derrière les quelques mèches assombries par la pluie qui barraient son visage. De là ou il se trouvait, Thiago n’arrivait pas à en dessiner la forme. Un tatouage, indéniablement. Il plissa légèrement les paupières, comme pour mieux voir, mais sans succès. Il fallait qu’il se rapproche, et qu’il dégage son front. Chose qu’il ne se permettrait pas de faire.

Ces iris vairons le défiaient, alors qu’elle avançait encore vers lui. Thiago essaya d’analyser pourquoi elle agissait de la sorte. Pour un Loups – Lycan ou Hybride mais aussi Originel en de rares cas - la forme humaine était signe de vulnérabilité, notamment lorsqu’ils se trouvaient face à un ennemi plus fort qu’eux. Car à ce moment même, alors même qu’elle était sans défense, il serait fort aisé pour Thiago de l’éventrer d’un seul coup de pattes, chose qu’il n’aurait peut-être pas accomplie du premier coup si elle avait été louve. Pour autant, il ne jugeait pas cette femelle totalement inconsciente des faits. Non… Par ce geste étonnant, elle lui montrait simplement qu’elle ne cherchait pas à combattre. En quelque sorte, c’était une sorte de soumission sans vraiment en être une. Thiago remarquait l’effort avec une satisfaction qu’il ne montra pourtant pas au grand jour. Soudain elle tendit la main vers lui en un geste gracieux, certes, mais qui semblait bien trop forcé pour qu’on y croie une seule seconde.

- Alors tu m'accompagnes en bas ou tu t'en vas ?

Thiago baissa les oreilles face à la froideur de ces quelques mots prononcés. Elle avait beau montrer une certaine soumission, elle restait toujours aussi agressive dans ses propos du moins. Mais que se cachait-il donc sous ce masque de glace ? Toujours est-il qu’elle avait inconsciemment brisé le fragile équilibre qui les reliait. A présent, c’était l’Originel qui avait tout les droits sur elle. Le Loups la fixa un instant, de cet air énigmatique qui lui collait presque systématiquement au visage. Il se redressa sur ses quatre membres puissants, et avança lentement vers elle, d’un pas félin et tranquille. Il continuait de la fixer, ses pupilles argentées ne pouvant se défaire du regard vairon de la jeune femme. Puis elles se relevèrent sensiblement sur le petit tatouage qui ornait son front, pouvant enfin le détailler à loisir. C’était un phœnix. L’oiseau qui renaît de ses cendres… Était-ce un symbole anodin ? Thiago ne le pensait pas. Il était persuadé qu’il avait un sens aux yeux d’Erika.
Lorsqu’il arriva à sa hauteur, il s’arrêta un instant, ses yeux suivant la courbe de son bras toujours tendu vers lui.

- Je t’accompagne… qui sait ce qui peut arriver aux jeunes femmes seules sous l’orage…

Un fin sourire amusé barrait son visage, alors qu’il reprenait son chemin vers la carcasse béante du cerf. Pour une fois, il avait parlé à voix haute, sans user de la télépathie des Loups. Lorsqu’il arriva devant, il la contourna et se retrouva de l’autre côté, faisant face à son interlocutrice. Il brûlait d’envie de lui poser quelques questions, ne serait-ce que pour tranquilliser sa propre curiosité. Il attendit pourtant qu’elle daigne bien se servir d’un peu de ce repas qui lui était offert. Puis, sans cesser de la suivre des yeux, il lui dit d’une voix grave.

- D’où viens-tu Erika… ? Je n’ai pas le souvenir de t’avoir déjà vu dans les environs de la meute…

Elle avait fait cet effort et d'un côté elle était heureuse que ce loup ait pu remarquer. Comme il ne semblait pas prompt à lui sauter à la gorge, elle avait pris ce risque tout en connaissant à quoi elle s'engageait. Alors qu'il s'était avancé vers elle, elle n'avait pas bougé. A présent qu'elle était sous sa forme humaine, elle ne voulait rien dans ses gestes qui soit sujet à la compromettre. Elle le laissa découvrir son front tout en sachant les questions qui découleraient nécessairement de cette découverte, elle s'y préparait tandis qu'elle le fixait.

- Je t’accompagne… qui sait ce qui peut arriver aux jeunes femmes seules sous l’orage…

Elle ne savait ce qui la poussait à lui tendre le bras ainsi peut-être était ce cette façon si particulière qu'il avait de la regarder. Et puis même si ses oreilles se baissaient à chacune de ses charges, il restait courtois voire même pire ! Il arrivait à faire de l'humour, dans l'ironie presque... Ses yeux , ses yeux si mystérieux oui, cela devait être eux. Alors elle bascula dans des casses d'un autre registre...

- Pourtant qui serait aussi borné pour sortir sous l'orage, sourit elle.

Oui, elle lui reconnaissait cete qualité, il semblait toujours suivre une ligne directrice et ne pas agir sous un coup de tête. Beaucoup d'autres auraient reculé ou auraient au moins grogné à l'une de ses charges. L'humour avait toujours été son bouclier, mais ses yeux à demi clos parfaisaient l'ensemble. Il était une espèce de tout sans que l'on sache l'assemblage, une aura bien trop mystérieuse pour être ignorée. Quand ils arrivèrent à la carcasse du cerf, Erika se redressa tout en tournant son regard vers lui pour s'assurer qu'elle pouvait se servir. Manger la mettait également en danger sous cette position, on pouvait aisément bondir sur son dos et briser sa nuque. Alors elle faisait des pauses entre chaque découpe pour vérifier que son hôte ne bougeait pas. De toute façon, vu sa position... elle ne s'en sortirait pas indemne s'il décidait de lui sauter dessus. Mais si elle faisait preuve de vigilance, elle s'en sortirait au moins en vie.

En levant les yeux, elle observa encore ce loup plein d'agilité et de majesté tandis que la pluie dissipait peu à peu le sang du cerf qui tâchait son menton. Même avec ses manières soignées, le fait qu'elle doive surveiller ses arrières l'avait obligée à oublier son apparence pour protéger sa vie. Dans un sens, c'était parfaitement compréhensible...

- D’où viens-tu Erika… ? Je n’ai pas le souvenir de t’avoir déjà vu dans les environs de la meute…

Alors elle interrompit net son repas, essuya sa bouche pour faire disparaître les quelques gouttes qui y perlaient encore. Erika posa ses lèvres sur le sang sur sa main, elle lécha le liquide avant que la pluie ne s'en charge. Elle se leva alors en laissant sa main descendre le long de sa cuisse. A cet instant, elle s'approcha de Thiago en penchant la tête sur le cté. Sans répondre à la question, elle parttit s'asseoir sur le tronc d'arbre qui s'y trouvait. La pluie se faisait plus douce, plus imétueuse. Dans le fond, elle suivait son humeur à peu de choses près. Même s'il était plutôt difficile de dire d'Erika qu'elle était une louve douce.

- J'habite non loin d'ici, mais...** je reste à protéger mon fils...** il est vrai que je sors peu ** ou alors je vois des vampires** A vrai dire, je ne t'ai toi aussi jamais vu, je n'en suis pas fachée; ça m'a permis de faire une nouvelle connaissance, dit elle calmement.

Erika avait très légèrement plié et ce pour plusieurs raisons dont une était évidente : son regard avait changé. Elle commençait à l'apprécier ce loup aventureux. Elle s'était même autorisée de passer derrière lui. Son petit jeu consistait à lui prouver qu'elle se savait en parfaite situation de déséquilibre, mais qu'elle pouvait toujours le surprendre. Elle leva la tête vers le ciel en fermant les yeux laissant sa gorge plus que visible. Un soupir doux s'annonça dans sa poitrine et se fit plus fort lorsqu'il s'exprima. La louve voulait profiter de chaque goutte de pluie et ce plaisir la fit redevenir lycanne. A nouveau son corps se fit plus imposant, sa peau se couvrit de poils blancs et ses membres se firent plus trapus.

- Au début, je détestais la lune, elle me défiait sans cesse à force j'ai appris à aimer ceux qui me défiaient parfois... chuchotta t-elle.

Les éclairs éclairaient encore la scène bien que la pluie se calmait de plus en plus jusqu'à disparaître complètement. Elle ouvrit à nouveau les yeux et laissa s'exprimer la double nuance de ses yeux. Elle ne bougea plus de sa place mais..se mit à sourire alors que les restes de la pluie peignaient encore des sillons sur ses joues à moins qu'il ne s'agisse de quelques larmes fugitives...

- Et quel est le nom du chasseur que j'ai troublé?

« Après la pluie vient souvent le beau temps.
Mais après l’Orage c’est le temps des Amours naissants. »

Poèmes des Enfants de la Lune

L’orage continuait sa route, imperturbable dans sa colère et sa rage. Il semblait mener une guerre secrète, dont seuls les habitants des cieux pouvaient comprendre le sens et la motivation première. Déjà la pluie torrentielle se calma, peu à peu remplacer par le calme et la sérénité d’une bruine fine. C’était apaisant. Si bien qu’on aurait pu croire que la nature reprenait son souffle après le passage du chaos, soulagé de n’avoir pas trop souffert du courroux des cieux. Les tensions semblaient dissipées, l’air se fit plus frais et agréable. Le vent souffla, caressant agréablement le pelage trempé du Grand Loup Noir et Feu. Il attendait encore une réponse de la part de sa mystérieuse interlocutrice. Il ferma lentement les yeux, tournant son visage dans la direction du vent, pour en humer les embruns. La forêt après la pluie, c’était comme un tourbillon olfactif. On pouvait presque, en se concentrant, en séparer les différentes odeurs. Le musc, la mousse, la sève qui coulait tranquillement du fier conifère, la terre humide, le sang encore chaud du cerf gisant dans la clairière. Et au milieu de ce tumulte odorant, la fragrance sensuelle de la lycanne prédominait largement.

Cette dernière s’était enfin arrêtée de manger. Le Loup ouvra les paupières, intrigué, et suivit avec une précision méticuleuse le moindre de ses mouvements. Elle s’était retournée à présent, et il se contenta de la fixer, silencieux. Elle effaça d’un revers de main la fine rainure sanguine qui perlait le long de sa mâchoire. C’est avec le calme d’une femme qui sait se faire attendre qu’elle s’approcha de lui. Pas trop près, cependant, mais assez pour agacer prodigieusement Thiago. Elle s’installa finalement sur les restes décapités du tronc d’arbre que Thiago avait décapité un peu plus tôt. Pourquoi tant de mystère, tant de suspens ? L’Originel n’était pas du genre patient. Il bougea sa patte antérieure gauche engourdie par son immobilité, la levant lentement. Il la reposa finalement, peut-être un peu trop fort, montrant bien là son impatience. Elle s’enfonça dans la terre humide, y laissant une énorme emprunte. Enfin, la jeune lycanne daigna faire entendre le son de sa voix.

- J'habite non loin d'ici, mais... il est vrai que je sors peu. A vrai dire, je ne t'ai toi aussi jamais vu. Je n'en suis pas fâchée; ça m'a permis de faire une nouvelle connaissance.

Elle avait fait volte face pour lui tourner autour. Le Loup ne broncha pas, bien qu’il ait toujours les yeux rivés sur lui. Au fur et à mesure, il avait dénoté que son attitude avait changé à son égard. Elle avait, semblait-il, percée sa carapace. Elle avait l’air moins sur la défensive. Lui faisait-elle confiance ? Il n’aurait su le dire. Qui sait se qui se trame dans l’esprit féminin…
Tout en la laissant tourner autour de lui, il cogita sur ce qu’elle venait de lui révéler. Le fait que sa tanière se trouve « non loin d’ici »n’était pas du tout précis. La meute avait élu domicile dans les montagnes. Cela voulait-il dire qu’à l’instar de Thiago, elle s’était volontairement –ou pas- mise à l’écart dans les bois ? De ce qu’il en savait, les lycans étaient autorisés à vivre dans la meute d’Azghar.
Décidément, cette fille semblait recouverte d’un voile de mystère.

Le fait qu’elle ne l’ait jamais vu ne l’étonnait guère en revanche. Il avait pour habitude de se montrer discret vis-à-vis de la meute, préférant de loin s’isoler. Le lac était devenu son territoire, il y avait élu domicile. Cependant, si on ne le voyait pas, on entendait souvent parler de lui, de cela, il en était sûr. Surtout de la part de ces dames… Lui qui collectionnait les conquêtes sans lendemain, avait acquit avec le temps une certaine réputation chez les Loups, mais aussi chez les humains et parfois même les vampires. Il n’avait cure de ce qu’on racontait sur lui, et sa réputation était bien la dernière chose à laquelle il songeait. Il aimait vivre, certes, mais cela ne changeait rien au fait qu’il était bon dans son travail. Un instant donc, il se demanda si elle le connaissait de nom au moins, et si oui, ce qu’elle tirerait de cette information. Les réactions divergent généralement, en fonctions des interlocuteurs.

Erika leva la tête vers le ciel, comme pour ressentir la pluie inonder agréablement son visage, et un doux soupira s’extirpa de ses lèvres entrouvertes. Après quoi son corps muta progressivement, se recouvrant de poils blancs. Il n’avait pas saisie pourquoi elle s’était retransformée. Elle était pleine de surprises…

- Au début, je détestais la lune, elle me défiait sans cesse à force j'ai appris à aimer ceux qui me défiaient parfois...

Par réflexe, il regarda lui-même la Lune qui filtrait faiblement à travers les feuillages. La Lune la défiait… Pas qu’elle vraisemblablement. Elle défiait tous les Loups sans exceptions. Elle était à la fois leur Bénédiction, car sans Elle ils ne seraient rien, et leur Malédiction, car à cause d’elle ils étaient des monstres. Pourtant elle paraissait si belle, si tranquille. Thiago revint au visage de la lycanne. Que devait-il comprendre par là ? Qu’elle l’appréciait ? Non… il ne l’avait pas vraiment défié. Il préféra ne pas s’embrouiller l’esprit avec de telles futilités et se releva, prêt à partir.

- Et quel est le nom du chasseur que j'ai troublé?

Ah… c’était le moment de vérité. Comment allait-elle réagir ? A son tour, il alla s’approcher de la carcasse du cerf et jetant un coup d’œil amusé à la louve, il lui dit son nom, avant de mordre à pleine dent dans la chair à vif. Il avala tout cru une énorme pièce de viande qu’il venait d’arracher à la carcasse béante. L’animal était délicieux, mais avec le temps, il avait perdu de sa fraicheur. Et la chaleur redevenait pesante, si ce n’était l’agréable rafraichissement de la bruine. En soupirant, il abandonna sa proie. Dommage. Mais d’autre ne se gênerait pas pour en profiter. Il prit encore une bouché de la noble bête, et s’en alla d’un pas traînant. Alors qu’il s’apprêtait à disparaître dans le bois, il s’arrêta et se tourna à demi pour regarder la lycanne.

- Tu as quelque chose à faire… ? Si non… Je te proposerais bien une petite baignade. Les hauts du lac doivent être encore chaudes, et mélangé à la fraîcheur de la pluie, c’est très agréable…

Il avait dit cela d’un ton plutôt monocorde, comme si la présence ou non d’Erika lui importait peu. Mais en réalité, il avait bien envie de la connaître un peu plus en détail.

Entrevue Orageuse [Erika]

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